Chapitre 30

475 51 7
                                    

-        Ne t'avise pas de trop...

Serrer. Les mains de Ceylan tirent sur le cuir et me coupent le souffle lorsque la corde se tend et remonte mes ailes de plusieurs centimètres. Je manque de tomber à genoux sous la puissante douleur me parcourant, et retiens tant bien que mal un rugissement de colère. Apercevant mon petit public en train d'installer le camp, je lâche un juron en épongeant mon front, trempé de sueur. Il est vrai que les températures de la Louisiane sont relativement plus hautes qu'au Groenland. Cependant, je ne souffre pas plus de l'air chaud que de celui, glacial, que nous avons quitté depuis quatre mois. Si je transpire, ce n'est qu'à cause de ce maudit Sylphe, qui semble ravi de me voir peiner.

-        Allons, mon petit poussin, ce n'est que pour ton bien ! ronronne celui-ci en me tapotant gentiment le bras. Et puis, nous n'en serions pas là si tu étais capable de supporter le poids de tes ailes.

Sachant qu'il a parfaitement raison, je choisis de la boucler tout en essayant de remuer légèrement les épaules. Les entraînements réguliers du Dragon et de Ceylan ne m'ont pas servi à grand-chose, et il s'avère que je suis toujours incapable de voler. Incapable de lever mes ailes sur plus de cent mètres. Incapable de... tout, avec ces fichues plumes. Malgré leur acharnement et le mien, nous n'avons pas avancé d'un poil.

Cela ne surprend ni Daegan ni Ismaël, qui m'ont expliqué patiemment combien de temps eux ont mis, tout jeunes, avant de prendre leur envol. J'aurais pu prendre mon mal en patience si nous ne bougions pas de ville en ville, que je n'avais pas le poids d'un éléphant sur les épaules, et que je commençais de plus en plus à me sentir comme le vilain canard de la troupe. Grognant sous l'effort, je bande les muscles et essaie une nouvelle fois de m'en sortir seule. Croisant le regard sarcastique du Sylphe, je siffle un air mauvais entre les dents et il lève les mains en l'air avant de passer dans mon dos.

-        Rien ne sert de courir si tu ne sais pas marcher, me déclare-t-il doucement avant de tendre l'autre bretelle en cuir. Du reste, ce nouvel accessoire te sied à merveille !

Je roule des yeux, mais, en avançant d'un pas, ne peux qu'à nouveau reconnaître l'évidence. Armand a trouvé l'idée en parcourant l'une des rues de notre destination précédente. Il ne lui a fallu que quelques boutiques pour trouver son bonheur, et me confectionner ce qu'il avait en tête. Si son idée m'a paru quelque peu farfelue au début, c'est son don pour la couture qui m'a époustouflé.

Durant notre chasse aux Sorceleurs à New York, le Dragon écumait les magasins pour dénicher une machine à coudre, afin de réaliser ce que je porte sur le dos. Si je devais le résumer, je dirais qu'il s'agit d'un sac pour ailes. En vérité, c'est une chose bien plus ingénieuse que le suggère son nom, mais nous en finissons tout de même là. Grâce à un entremêlement de liens, et de larges bandes en cuir épais et de tissus auto-respirants, mes ailes sont pressées contre mes omoplates, surélevées pour ne plus traîner dans la terre et la boue. Un léger espace permet à ma peau de ne pas coller contre mon doux plumage, mais Ceylan les a assez serrés pour me couper la circulation du sang, s'il y en avait une dans mes plumes.

Je finis par faire quelques bonds et étirements, jusqu'à reconnaître qu'il m'est enfin possible de me déplacer sans manquer de m'étaler à chaque pas. Armand, un léger pli entre les sourcils, me tourne autour avant de remonter une bretelle sur l'épaule droite, et de resserrer la bande passant sous mes seins. Peut-être que sa main s'attarde-t-elle plus que de raison, mais son regard mordoré, aux prunelles verticales, reste focalisé sur son œuvre. Cela le tient visiblement assez concentrer pour qu'il ne réagisse pas au coup d'œil que lui lance Daegan, à plusieurs mètres de nous.

Je plonge mes yeux dans ceux de la Chimère, et pars à la rencontre de son esprit, qui se tend à mon approche. Très vite, les premières barrières s'effritent, et je le découvre en pleine conversation avec l'Efrit. Celui-ci, arrivé en Chine, pourchasse des Banshees depuis trois semaines, et a essuyé suffisamment d'échecs pour faire venir une unité de Dragons. Celle-ci ratisse les montagnes, tandis que l'équipe d'Ismaël parcourt les grands plateaux de hautes altitudes, sans rien trouver d'autre que des villages abandonnés, ou massacrés.

L'Enfer est un Paradis, TOME 2 : La Rage des VertigesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant