Chapitre 27

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À moitié immergée dans l'eau, j'observe par-dessus la mousse le bout de mes ailes recourbées dans ma direction. J'ai des ailes. Voilà deux heures que j'ai quitté la salle commune, et les dégâts que nous avons causés, et je ne parviens toujours pas à me faire à cette idée. D'après Daegan, j'aurais dû m'en douter. Après tout, je viens de deux parents ailés. Mais, avec tout ce qui m'est arrivé dernièrement, cette pensée ne m'avait encore jamais effleuré l'esprit. C'est tout bonnement... dingue.

Un instant, je songe combien Adèle aurait été émerveillée par la texture veloutée de mes plumes, avant que la vérité ne me poignarde et m'abandonne à mon cœur meurtri. Deux heures que Daegan m'a laissées, demandant que l'on monte une baignoire dans ma chambre, pour ensuite déblatérer avec les Maîtres, très peu satisfaits de notre vision de l'hospitalier. En ce moment même, Daegan tente d'apaiser les tensions, soutenu par un Torgan pacifiste. Je doute que cela suffise à calmer les Chevaliers, mais les Disciples semblent tous avoir été galvanisés par le combat m'ayant opposé à l'Archange.

D'après les informations que j'ai pu glaner, le Chevalier à qui j'ai volé ses pouvoirs s'est remis du choc d'en avoir été dépouillés, et jure par toutes les armes d'Erèbe qu'il se vengera. De ça, je suis persuadée du contraire. Il ne se risquera pas à énerver la hiérarchie pour une erreur qu'il a lui-même commise. Son esprit n'aurait pas dû être aussi facilement pénétrable. En vérité, son courroux est alimenté par la peur d'être rétrogradé.

Sors de ses pensées, elles n'ont pas à être lues par un autre que lui.

Me détournant de l'esprit de l'Alfe, je reporte mon attention sur les bulles de mon bain, tandis que l'Efrit marque son arrivée par une légère odeur de soufre, qui me fait éternuer. Calixte relève la tête du lit, renifle l'air à la recherche d'une fragrance quelconque, avant de se rallonger, indifférent à mes sens se développant dans mon propre cerveau. Indépendamment du fait qu'il ne puisse pas sentir l'approche mentale du Djinn, il me semble que le Métamorphe... boude.

Lorsqu'Adhémar a surgi des Enfers, Daegan a ordonné à toute la troupe de ne sortir de la Citadelle sous aucun prétexte. Et, quand j'ai débuté le combat, il a réitéré son ordre. Celui de ne pas m'aider. Calixte est loin d'être bête, et sait que, si le grand chef leur a imposé cette condition, ce n'était que dû à mes propres agissements. Contre l'Archange, je n'avais aucune chance. Cependant, j'avais enclenché moi-même la bataille, et que l'on me porte assistance aurait discrédité la maison même de Daegan. Chose que nous ne pouvons pas nous permettre, surtout aux vues de notre mission actuelle.

Alors... le Métamorphe boude, car il aurait voulu participer à ma défense et s'en est retrouvé exclu. Chose qu'il ne digère pas. Et lorsque Daegan l'appelle par leur lien, le petit ocelot devient un large gorille pour quitter la pièce sans mon aide. La porte se referme dans un claquement sec derrière lui, faisant osciller l'eau calme m'entourant. Soupirant, le dos légèrement appuyé contre la baignoire, je peux sentir le moindre muscle de mes ailes se dessiner sous ma peau. Les plumes hypersensibles percent la surface, se referment sur mes cuisses nues, et remontent à l'air libre, trop grandes pour tenir entièrement dans le bain.

Mon doigt effleure l'une d'entre elles, et je tressaille à l'idée que l'une d'elles me soit enlevée. La douleur doit s'apparenter à un arrachage d'ongles, et je n'ai aucune envie de découvrir combien cela fait mal. Pour avoir contemplé mon reflet au travers de la fenêtre légèrement teintée, je sais que mes ailes sont aussi larges que grandes. Me dépassant d'une bonne tête lorsque je parviendrai à les rétracter, elle recouvre toute ma silhouette dans un dessin minutieusement travaillé. Le rouge, le blanc et le noir se mélangent et forment une esquisse complexe, s'effaçant au niveau des dernières plumes.

Elles sont uniques, note une fois de plus le Djinn en les contemplant à travers mes yeux.

Ne le sont-elles toute pas ?

L'Enfer est un Paradis, TOME 2 : La Rage des VertigesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant