L'Enfer est un Paradis, TOME 2 : La Rage des Vertiges

Chapitre 38

Les Centaures, extrêmement magnanimes compte tenu de la situation, ont mis à notre disposition une autre hutte, encore éloignée du campement, mais plus autant qu'avant. Peut-être préfèrent-ils nous avoir à l'œil... ou peut-être ont-ils trop peur de désobéir à Adhémar. Celui-ci s'est envolé avec moi, pour atterrir dans le camp, au beau milieu des chefs de clan et de Torgan, en passe d'apaiser les tensions.

Le Démon n'a fait que les réanimer, jusqu'à aboyer d'un ton fort qu'il ne souhaitait qu'un endroit calme pour me soigner. La foule s'est alors tournée vers moi, et j'ai dû affronter de nombreux regards d'étrangers, tous curieux de savoir ce qui s'était exactement passé. Le grognement d'Adhémar a suffi à détourner l'attention des badauds, et a accéléré grandement les choses. Il ne nous a fallu qu'une poignée de minutes pour nous trouver un nouvel abri et de quoi me changer, car le peu de mes vêtements a été détruit là-bas.

Lorsqu'Adhémar me dépose sur une paillasse disposée dans le fond de la grande tente, à même le sol, je me recroqueville contre la toile, mes ailes se resserrant autour de moi, m'apportant chaleur et réconfort là où je ne pensais plus la trouver nulle part. Quand O'Neill passe le pas de la hutte, je n'ai pas bougé d'un poil, et le Démon semble avoir tracé de profonds sillons dans la terre, à force de parcourir l'espace restreint de ses longues enjambées.

- Vous permettez ?

Adhémar s'arrête, jauge un bref instant la Pixie, avant d'acquiescer gravement. Pipe éteinte dans la bouche, la Fée s'approche lentement de moi, saisit un petit tabouret et s'assoit juste en face de moi, une bassine d'eau fraîche dans une main, un linge dans l'autre.

- Il serait bien de vous redonner forme vivante, jeune fille. Actuellement, vous frisez avec les morts que les Nécromanciens s'amusent à déterrer. L'on m'a dit que vous vous étiez d'ailleurs frotté à plus gros que vous, à La Nouvelle-Orléans.

Ne faisant aucun geste pour le lui interdire, O'Neill passe la barrière de mes ailes avant de m'attraper un bras, et de glisser la serviette mouillée sur mon épiderme.

- Qui êtes-vous ?

La Pixie ne s'interrompt pas dans son nettoyage à la question de mon géniteur, et se contente d'un petit sourire.

- Son ancien concierge. Et vous ?

- Son père.

Sa main se fige sur mon épaule, et son regard coule sur moi comme s'il ne me voyait pas vraiment.

- Hum. Ceci explique cela, marmonne-t-il dans sa barbe, avant de reprendre plus clairement. Vous apprendrez donc, monsieur, que j'ai confié un artefact à votre fille, pour m'acquitter de ma dette. Dette que j'ai payée, en la sauvant des griffes du maudit.

Le torchon est plongé plusieurs fois dans la bassine, qui se colore d'une teinte rouge, avant que la Fée ne passe à mon autre bras.

- Comment avez-vous fait ? le questionne encore Adhémar. J'ai senti la détresse de ma fille alors que nous appréhendions une secte entière de Nécromanciens. Ayant passé trop de temps sur Terre, ma téléportation a été plus laborieuse, et l'arrivée de ma souveraine n'a en rien arrangé mes capacités. Cependant, j'aurais toujours été en mesure de combattre la Chimère. La battre, peut-être pas, mais la distraire suffisamment pour permettre à Satine de fuir. Et une Pixie...

- ... demeure plus faible qu'un Démon, conclut O'Neill d'un ton amusé, en promenant le tissu sur mon mollet droit. En temps normal, je ne pourrais vous contredire. Mais nous sommes en des temps bien troubles, et il s'avère que tout change. Voyez, même les Démons commencent à tenir tête à leur souveraine !