Chapitre 13

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Sullivan ne nous fait pas entrer dans les Bas-fonds par la porte principale, mais par celle des artistes. Celle que je prenais, lorsque je faisais partie des combattants. Notre arrivée par l'Arcade de Daegan, en plein milieu du chantier de son ancien bâtiment, n'a pas plu à la grande majorité des ouvriers. Cependant, tous se sont rapidement calmés en reconnaissant le propriétaire des lieux, et le maître de la ville.

J'ai pu ainsi découvrir que les travaux de restauration du Sanctuaire étaient en bonne voie, même si Daegan ne pourra pas vraiment en profiter. Le chantier est censé se terminer dans trois mois. Et si l'on écoute les Onze, dans six mois, il n'y aura certainement plus aucune Créature peuplant ce monde. Sullivan n'a pas attendu bien longtemps pour nous emmener dans les anciens métros londoniens, le plus sûr moyen pour quitter la ville.

Depuis que l'Ogre est au pouvoir, Londres a repris un rythme très avant-guerre, et la mécanisation des Humains a été largement oubliée au profit des vieilles méthodes. Il ne reste alors que comme moyen de déplacement les automobiles antiques et très coûteuses, et les hippomobiles, rarement vides. Marcher demeure l'option la plus rapide pour se rendre à un endroit voulu, mais aussi l'une des plus dangereuses.

Les métros, négligés depuis plus de trente ans, sont encore en état, et garantissent quelques points d'entrées, et de sorties, pour les Bas-Fonds. Nous nous sommes donc enfoncés dans le noir, seul le bruit de nos pas venant troubler le silence oppressant nous entoure. Cela dure suffisamment de temps pour que je reconnaisse les conduits, créés après la troisième guerre, afin de permettre aux parieurs de quitter discrètement la capitale.

Nous rejoignons ensuite l'un des véhicules privés de Sullivan, et partons sans attendre à Douvres. Et lorsque Hjort nous ramène sous terre et pousse une porte bardée d'une lourde chaîne en fer, je me retrouve au cœur d'un ancien monde. L'odeur est la même, et me prend rapidement au nez, jusqu'à me faire monter les larmes aux yeux. Les Bas-fonds ne sont pas réputés pour l'hygiène régnant entre ses murs, et mes sens s'affolent en contemplant ce qui fut presque une maison pour moi.

- Alors, l'Outsider ? Ravie d'être de retour ?

- Pas vraiment, non, marmonné-je en me hérissant sous les coups d'œil curieux des combattants.

Nous sommes entourés de pauvres bougres venus gagner leur ticket d'entrée dans la capitale, et je sais qu'aucun d'entre eux ne reviendra dans les vestiaires en vie. Dans le cas contraire, cela voudra dire que j'ai échoué, et je ne le permettrais pas. Malgré ce que j'ai dit à Daegan, avant de quitter la Nouvelle-Zélande, mourir maintenant n'est pas une option envisageable. Nous longeons la salle principale, découpée en plusieurs rangées de casiers et d'une partie douche pour les survivants. L'infirmerie, ou, plus communément appelé la morgue, se trouve dans une pièce adjacente à celle-ci.

- Bien. Je te laisse rejoindre ton ancienne armoire, je suis sûre que tu retrouveras tes marques bien assez tôt ! m'assure Sullivan, au comble de sa joie. Je m'en vais, pour ma part, annoncer les légères modifications que ta venue a apportées.

- Je croyais que vous vouliez préserver les apparences ?

- Et manquer ton grand retour ? Jamais de la vie ! Je te laisse te préparer, le Coach viendra te conduire jusqu'à l'arène.

- Je connais le chemin, marmonné-je en tournant déjà les talons.

- Il y a eu quelques changements. Et je ne voudrais pas que tu tombes sur quelques indésirables qui n'apprécient pas ton retour.

Et des indésirables, il y en a en nombre. Je pourrais oublier, avec les êtres que je côtoie maintenant, que toutes les Créatures ne sont pas aussi puissantes que mon actuel compagnon de route. En vérité, même si j'ai toujours appris à craindre et à fuir les Créatures, certaines ne valent pas grand-chose dans une arène. Après tout, beaucoup d'entre elles n'ont pas réussi à m'éliminer, alors que je me pensais humaine. Alors que je l'étais, au fond. Mais même le Glamour ne peut aider les plus faibles, et il se trouve que la plèbe des Autres n'est pas plus belle que celle des Humains. Dans les Bas-fonds, seuls vivent les fous, les incompris et les désespérés. Le bas de l'échelle, qu'importe, de quelle race elle soit. J'ai affronté la raclure, la lie des Créatures, et en tire pourtant un nom, une renommée. Mais aucune gloire.

L'Enfer est un Paradis, TOME 2 : La Rage des VertigesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant