Chapitre 6

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La porte se referme à peine dans mon dos que je me précipite vers la porte-fenêtre, l'ouvre en grand et pénètre sur le balcon, mon cœur battant à cent mille à l'heure. Prenant une lourde inspiration, j'ignore le soufre de l'atmosphère étouffante des Enfers et porte mon regard sur le territoire désert, que je connais dorénavant par cœur. Au loin, dans les airs, j'aperçois plusieurs Démons Mineurs remonter les courants ascendants. Mais même leur ballet bizarrement captivant ne parvient pas à m'apaiser. Et la présence derrière moi ne m'aide en rien à retrouver le contrôle de mes émotions.

-        Satine...

Je finis par me retourner vers Daegan, qui m'observe, appuyer contre le chambranle de la baie vitrée. Les bras croisés sur le torse, le visage fermé, il me fixe avec son regard étrange, sans mot dire.

-        Tes parents..., commencé-je avant de m'interrompre, sans trop savoir quoi dire.

-        Ce sont des spécimens qui ne me plaisent pas de revoir, me répond Daegan en haussant une épaule.

Je hoche lentement la tête, et il fait quelques pas sur le balcon en contemplant le territoire de sa mère d'un œil sombre.

-        Mon père n'aurait jamais dû jouer ainsi avec ta vie.

-        Nous parlons de Dieu, tout de même, noté-je en l'observant approcher. Il fait ce qu'il veut, où il veut, quand il veut.

-        Atoum a toujours eu besoin d'asseoir son contrôle sur tous les êtres... Avec l'âge, ça ne va pas en s'arrangeant.

Croisant les bras à mon tour, je m'appuie contre la balustrade en le regardant arpenter le balcon en quelques enjambées souples.

-        Atoum ? répété-je.

-        Mon... père est un excentrique, au cas où tu ne l'aurais pas compris, m'explique Daegan dans un léger soupir. Son véritable prénom a été oublié dans les âges, et remplacé par le patronyme qu'utilisaient les Égyptiens pour nommer leur dieu primordial.

Avisant mon air clairement sarcastique, Daegan laisse échapper un ricanement amer en secouant la tête.

-        Le démiurge qui s'est fait lui-même... Forcément, après ça, il nous est difficile de le voir autrement que comme un grand mégalomane.

-        À peine ! m'exclamé-je en riant du nez. Tout ça pour... ça, pour ne pas perdre l'ascendant qu'il a sur le Diable. C'est...

Je pousse un soupir et m'en retourne vers le paysage désolé, et appuie mes coudes sur la rambarde, les yeux plissés sous la chaleur provenant de la terre.

-        C'est... terrible. Jouez comme ça, avec votre vie, avec la mienne... Il a utilisé des mots forts pour décrire toute mon existence. Je ne suis là que de son beau vouloir et sans lui...

-        Tu aurais existé, mais sous une autre forme.

-        Sans lui, Isobel n'aurait jamais accouché d'une fille, conclus-je tristement en secouant la tête. Il l'en aurait empêchée, d'une quelconque manière, étant donné que l'avortement ne semble pas fonctionner chez les Anges. Sans lui, je ne serais pas apparue, pas dans cette vie, tout du moins.

Je marque une pause, avant de reprendre, d'une voix plus ténue.

-        Et c'est là que je me pose la question, murmuré-je, incertaine. Suis-je en train de le maudire pour tous ces actes qu'il a menés à mon encontre ou parce qu'il m'a permis de naître dans cette vie préconçue ?

Daegan ne me répond pas, et il n'en a pas besoin. Je lui jette un coup d'œil derrière mon épaule et le surprends à me fixer, une lueur presque douce dans le regard.

L'Enfer est un Paradis, TOME 2 : La Rage des VertigesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant