Chapitre 40

252 47 21
                                    

Je m'éveille en sursaut, le corps couvert de sueur et la peur au ventre. Me traînant au bout de la couche, je vomis de la bile, crachant mes cauchemars devenus réalités. Lorsque, enfin, mon estomac est vide, je relève la tête, la main sur la bouche... et croise deux yeux jaunes.

Glapissant de terreur, me cognant assez fort contre la tente pour manquer de passer au travers, je remarque à grandes peines, et au bout de plusieurs longues minutes, que la personne me faisant face ne semble pas d'humeur assassine. Lucifer, assise sur un tabouret comme elle siégerait sur son trône, me contemple avec un air d'ennui flagrant. Sa peau diaphane tranche étrangement avec les ombres de la hutte, mais cela me permet de repérer l'extérieur, et la clarté toujours présente. Je n'ai pas dû dormir longtemps, et mon corps me le confirme lorsque je me détache lentement de la paroi.

- Il n'est plus là.

Sa voix est habituellement chaude et envoûtante, comme à l'image de ce que doivent être celles des Sirènes, que Lucifer a créée. Pour l'heure, elle sonne cassante, froide et écrasante.

- Daegan, ajoute-t-elle face à mon silence.

Obligée de prendre de longues inspirations pour me remettre de ce réveil en fanfare, je force mes muscles à se dénouer et hoche vaguement la tête, ma bouche muselée par l'envie de rire nerveusement. Je m'essuie les lèvres du dos de la main avant d'oser les entrouvrir.

- Si vous dites ça dans le but que je me calme, je peux vous assurer que votre présence n'est pas plus apaisante, exposé-je doucement, baissant les yeux en direction de la paillasse dorénavant tachée.

- Quelle idiote... soupire la Diablesse avant de hausser élégamment les épaules. Je ne dis pas cela pour que tu aies moins peur de moi. Je t'informe juste de la situation. Mon fils est parti.

Fronçant les sourcils, je reporte mon attention en direction de mon interlocutrice, et suis, durant un bref instant, partagée entre la peur de savoir et le soulagement d'ignorer. Puis les tout récents événements reviennent à moi, et me rappellent que je suis dorénavant seule maître à bord. Et que je n'ai pas d'autres choix que d'apprendre pour diriger la suite des opérations.

- Où est-il parti ?

- En Enfer.

Surprise à la fois par sa fuite et par sa destination, je garde le contact avec Lucifer, la frayeur ressentie en sa présence s'estompant par la fatigue et le contrecoup de tout cela.

- Il est là-bas parce qu'il est toujours sous sa forme chimérique ?

- Absolument pas. Son adorable chien de compagnie ne t'en a pas parlé ? s'étonne la Diablesse.

- Ismaël n'est plus...

. Me coupant brusquement, je me redresse, sans trop savoir quoi dire. Quoi faire. Faire confiance à Lucifer est indéniablement une folie, mais il s'agit de son fils... et n'est-elle pas justement prête à toutes les folies pour lui ?

- Ahah... fredonne-t-elle subitement, alors que ses prunelles dorées se parent de velours. Intéressant. Ismaël n'est donc plus dans vos esprits ?

Je préfère ne rien dire, au risque de me trahir davantage. Cela ne semble pas déranger l'Ange déchu, qui, avec un sourire teinté d'amertume, reprend la parole.

- Déjà que mon fils est au plus mal... Si ses liens ne sont plus capables de veiller sur eux-mêmes, je me demande bien à quoi ils servent.

Tentative évidente pour me faire sortir de mes gonds, cela échoue, du fait de ma trop grande fatigue et de l'habitude. Côtoyer le Diable pendant cinq ans en Enfer m'aura au moins permis d'apprendre à me dominer en sa présence.

L'Enfer est un Paradis, TOME 2 : La Rage des VertigesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant