Chapitre 15

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La foule est silencieuse. La foule attend, appréhende. Les caméras ne diffusent pas les quelques secondes achevant le dernier combat, afin de faire durer le suspense. Le public attend, un mélange de peur, d'exultations et de stress courant dans les gradins, que le gagnant surgisse de l'ombre du tunnel. Les paris sont clos depuis un moment lorsque j'émerge du premier tronçon, ensanglantée et épuisée. Mais vivante. Les gens acclament le sang versé, d'autres maudissent jusqu'à mon nom, tandis que je remonte le cercle de sable rouge, créant un nuage de poussière dans mon sillage.

Mes pieds s'enfoncent péniblement, l'ensemble de mes muscles tirent sur leurs dernières forces pour ne pas me voir tomber et je lève le visage vers les gradins, ressentant leur adrénaline comme un million de lames aiguisées. Ils n'ont pas le droit. Ils ne peuvent pas s'amuser de toutes ces morts inutiles, de toute cette énergie gâchée. Et pourtant... ils raffolent de ce spectacle macabre. Tous, qu'ils soient Mage véreux, Ogre, Humain ou Vampire. Le Coach saute de son siège et arrive au centre du cercle, en m'adressant un sourire à peine froissé.

-        Il semblerait que l'Outsider soit venu à bout de notre champion, lui permettant de regagner son titre ! beugle-t-il au micro, faisant lever la foule. Acclamez-la comme elle le mérite.

Les hourras sont retentissants, même si de nombreuses personnes ont perdu gros dans l'affaire. Je me tends face aux cris, je me crispe et mes muscles se mettent à trembler sous l'effort. Du combat m'ayant opposé à l'Humain, je ne conserve qu'une hache, la seule ne s'étant pas brisée sous les coups de sa claymore. Mes oreilles sifflent sous le brouhaha ambiant, et des points noirs viennent obscurcir ma vision pendant un temps.

Lorsque tout revient à la normale, la foule n'a pas cessé de hurler, mais mon esprit est clair. Plus qu'il ne l'a été depuis bien longtemps. Je passe ma hache dans les courroies de ma ceinture et tire sur la corde de O'Neill pour défaire ce qu'il reste de ma queue de cheval. Longeant des yeux l'assistance, je finis par croiser un regard que je commence à connaître par cœur. Je plonge dans une tempête de couleurs, où pourraient se mêler une multitude de sentiments si Daegan se laissait à ressentir des émotions. À la place, je lui fais un léger signe, comme pour l'inviter à me rejoindre.

J'ignore s'il me comprend, car je me détourne bien vite de lui avant de m'avancer vers le Coach, qui me surveille du coin de l'œil. Mon corps couvert de plaies, le sang coulant le long de mon épiderme sont autant de signes le faisant reculer. Il n'a pas peur. Le Coach ne peut pas être terrifié par ses anciens élèves. Pas encore, tout du moins. Mais cela va venir. Car cela arrive. Je m'empare de son micro, lui lance un regard plein de promesses noires, puis me tourne vers la foule furieuse.

Celle-ci se calme en me voyant faire, et très vite, un silence opaque laisse entendre le grondement de la vie au-dessus de nous. J'attends que ma rage se dissipe un peu avant de prendre la parole, et cela dure de longues minutes. De longues minutes, où le silence régnant est comme un hommage rendu à tous ces morts que j'ai enterré, à tous ces jeux auxquels j'ai participé. Plus jamais. Plus... jamais.

-        J'espère que le show a été à votre convenance, parce que je ne le reproduirai plus, déclaré-je d'une voix froide, qui n'encourage aucun applaudissement. Ce jour est à marquer d'une pierre blanche, car c'est la fin. La fin d'un monde, la fin d'une époque. Bientôt, toutes les Créatures disparaîtront de cette planète, laissant les Hommes seuls à même de redresser la barre. Celle qui nous fait dériver depuis trop longtemps dans des contrées arides, où rien ne pousse. Rien, sauf peut-être la haine de l'autre, la colère des Anciens, et la souffrance des plus faibles. Il y a peu, je faisais partie de cette catégorie. J'étais une anonyme, comme vous tous. Cette partie-là de mon existence est loin d'être réjouissante, car j'ai tué. Plus que je ne le devrais. Plus que ce que mes épaules peuvent supporter. Vous m'avez connu sous l'Outsider, et le Coach a tout fait pour me monter au sommet. Je l'ai atteint, ce pique intouchable, en gagnant cinq mille huit cent sept combats. En massacrant cinq mille huit cents adversaires. Il n'y a rien de glorieux là-dedans, et tout n'est qu'une supercherie. Il n'y a pas de fin au tunnel, aucune échappatoire dans les Bas-fonds. J'en ai trouvé une, juste pour un temps. Mais voilà que mon ancienne vie se révèle à moi...

L'Enfer est un Paradis, TOME 2 : La Rage des VertigesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant