Chapitre 16

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Les premiers chants d'oiseaux viennent me tirer de mon sommeil, et je grogne en me redressant sur le lit. Avisant la couche épaisse de neige recouvrant ma terrasse, je me réfugie rapidement dans la salle de bain, ignorant la baie vitrée et l'air frais d'Écosse. Sous la bonde de douche, les oreilles sous la pression des jets d'eau, je tente de faire abstraction de tout. Rassemblant mon énergie, les paumes plaquées contre les parois de la douche, j'inspire à fond, me concentrant sur les gerbes d'eau glissant sur mon dos, le long de mes cheveux. J'ignore les murmures dans ma tête, aussi clair qu'une conversation se tenant derrière moi. J'oublie tous les cœurs battants à l'unisson du mien. Une minute. Une seconde. Puis tout revient.

Mes oreilles noyées sous l'eau sont brusquement assaillies par un millier de sons. Et tous mes sens se réveillent, plus forts qu'avant, me forçant à tout voir. Tout ressentir. J'entends un écureuil remonter un tronc dans la forêt, une chouette se retourner dans son nid, fatiguée par sa chasse nocturne. Je sens l'odeur de la salle d'entraînement, alors que les Loups en ressortent en hurlant des débilités futiles, je perçois Abby, dans la cuisine, occupée à tourmenter une nouvelle fois Hector.

Alassane discute avec sa moitié dans le troisième salon, tandis que les Djinns occupent l'énorme jacuzzi du premier étage en tentant de viser Lysandre, un étage plus bas, prête pour une promenade matinale. Un esprit effleure le mien lorsque cela devient trop difficile à supporter et Ismaël s'approche pour m'entourer de sa chaleur. Laissant échapper un soupir de soulagement, je glisse le long de la paroi de douche, jusqu'à ce que mes fesses nues tombent dans le bac. Les yeux fermés, le visage offert à la bonde encore ouverte, je m'abandonne à la protection de l'Efrit, l'autorisant à faire le tri dans les informations que je reçois, jusqu'à ce que ma tête se vide. Un peu, tout du moins.

Ce ne sera que la trentième fois qu'Ismaël vole à mon secours. Depuis mon réveil, de ce coma artificiel dans lequel on m'a plongé, il n'y a pas un jour où je ne m'éveille pas avec ce besoin de souffler. Ismaël a toujours été au rendez-vous, et il sait parfaitement combien je lui en suis reconnaissante. Parce que je ne peux pas gérer. Pas tous les échos de la vie m'entourant. Cela fait trois semaines que je ressens... absolument tout. Je vois tout, sens tout, et c'est épuisant. Terrifiant et exaltant, aussi. Mais il y a toujours un revers à la médaille, et celle-ci est de taille.

Cette surcharge de nouveauté me vide de toute énergie, et m'oblige à m'allonger régulièrement. Ainsi, j'ai conscience de n'être que peu utile, surtout qu'Ismaël parle fréquemment des nouvelles responsabilités qui m'incombent, du fait de mon statut. Pour l'heure, je suis incapable de réaliser la moindre tâche, mais il me faudra tôt ou tard rejoindre les rangs, car Daegan n'est entouré que de pièces de collection susceptibles d'accroître ses bénéfices. J'ai donc découvert que les multiples entreprises de notre charmant maître étaient toutes en train d'être confiées aux Hommes, sous couvert de certains avantages.

La proposition adoptée par la majorité du Cicérone a créé un véritable bouleversement dans le monde entier, et Daegan tente d'avoir le coup d'avance lui ayant manqué durant la réunion. Passer la main avant ses confrères lui permet d'obtenir les meilleurs contrats, qui s'avéreront fort utiles dans notre nouveau monde. Car si nous quittons les Humains, nous n'abandonnerons pas les uses et coutumes de notre époque. Certaines races le feront, bien sûr, mais d'autres tiendront à conserver les mêmes systèmes qu'ici. Et Daegan n'est pas prêt à délaisser son mode de vie très luxueux pour une terre inhospitalière. À l'heure où je pense, des colonnes de travailleurs sont en train de passer l'Arcade créée par les Onze Anciens pour façonner notre planète selon nos souhaits.

Daegan est, de ce fait, régulièrement absent, et je ne l'ai que peu croisé depuis mon grand retour. Cependant, étant constamment dans sa tête, je ne vois que peu de différence. Au contraire, cela m'a permis de découvrir l'Arcade et ce qui se cache derrière l'Abîme du Cicérone. Si j'espérais croiser des Géants oubliés, ou d'immenses terres désolées, vision proche des Enfers, j'ai été... déçue de ne rien trouver de bien différent de ce qu'abrite la partie visible de notre monde. Daegan m'a assuré que des Créatures se dissimulaient pourtant dans les forêts qu'il a survolées durant son voyage, et je n'ai pu que le croire sur parole, étant trop éloignée pour m'en rendre compte par moi-même.

L'Enfer est un Paradis, TOME 2 : La Rage des VertigesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant