Chapitre 34

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Du fait de la position de leur abri, nous mettons vingt minutes pour atteindre notre but. Malgré la suprématie de Daegan sur les Faunes, celui-ci refuse à nouveau que nous nous téléportions. Qu'ils acceptent de nous recevoir est déjà un grand pas et Torgan a appuyé cet exploit, avant que nous partions.

De mémoire de Créatures, les Faunes avaient disparu de la Terre depuis cinq cents ans, et ne restaient que quelques individus isolés et traqués. Nul doute que Daegan aurait détruit la Gorge du Diable et l'ensemble des Chutes d'Iguaçu pour les trouver. Mais qu'ils se révèlent à nous est un acte à la fois désespéré et courageux. Ils savent qu'ils n'ont pas d'autres alternatives, mais décident d'y faire face au lieu de demeurer terrer dans leur cachette. Alban, à nouveau plongé dans son mutisme, nous emmène jusqu'au plus proche des cascades, au premier plateau, où s'écoule la plus colossale d'entre toutes.

Nous empruntons l'une des passerelles décrites par Torgan un peu plus tôt, et anciennement utilisées par le tourisme de masse. Plusieurs planches métalliques ont disparu et la structure émet assez de sons inquiétants pour que mes muscles se tendent au moindre balancement traître. Quand nous atteignons le bout du chemin, nous ne nous trouvons plus qu'à quelques mètres de la chute d'eau. Le bruit est si fort qu'il se répercute en moi, comme des millions de tambours à une parade. L'air charrié d'humidité trempe mes vêtements et mes cheveux, avant même qu'Alban nous indique de quitter la passerelle.

Camouflant ma panique naissante sous un grognement, je le suis près de la rambarde, alors qu'il l'enjambe déjà et désigne d'un geste la roche affleurante. Celle-ci est couverte de quatre ou cinq centimètres d'eau et n'a, en théorie, rien de bien difficile. Seulement, le courant est si fort que je redoute à tout moment de perdre l'équilibre. Nager n'est pas un problème, mais lorsque je me trimbale des poids morts dans mon dos, c'est une autre affaire. Surtout avec les quatre-vingts mètres de chute libre m'attendant si je tombe.

Alban n'a visiblement pas les mêmes préoccupations, car il saute lestement de la passerelle, et atterrit deux mètres plus bas, sur la roche. Ses sabots claquent au sol, avant qu'il ne bondisse sur une autre plateforme immergée sans perdre une seule fois la grâce propre à sa race. Il répète ce procédé quelques fois, puis atteint l'extrémité du précipice. Il désigne ensuite une légère pointe affleurant à la surface, couverte d'épaisses lianes. Ou, tout du moins, ressemblant à des lianes. Sans attendre, le Faune se penche dans le vide, s'accroche à la végétation, et disparaît plus bas.

-        Satine, tu n'as rien à craindre.

Le ton assuré de Daegan me parvient malgré le grondement de l'eau et je pousse un long soupir en agrippant la rambarde.

-        Je sais bien... Ce ne sont que des inquiétudes... Humaines.

Tâchant d'embrasser plus fermement mes origines, je suis le mouvement et abandonne la passerelle pour la roche trempée. Mon pied dérape sur la surface lisse, mais s'arrête à son extrémité. Mes poumons se vident d'air, puis je me redresse, et tente d'occulter le fait que l'eau peut me prendre à tout moment. En vérité, je ne mourrais pas noyer. Daegan me rattrapera avant, ou mon pedigree me permettra d'y survivre. Malgré tout, la peur subsiste, et me fait assez trembler pour manquer trois fois de tomber.

Finalement, je parviens bien trop tôt à mon goût au bord de l'abîme, et me prends de violentes remontées d'air. Le débit crée de véritables bourrasques, alourdissant mes ailes et mes habits d'humidité. Daegan me rejoint en quelques bonds lestes et, du fait de la taille de la plateforme, se presse contre mon dos et mes ailes pour rester en dehors de l'eau. Par-dessus mon épaule, il jette un coup d'œil en direction du vide, tandis que je tente par tous les moyens de ne pas le faire. Je n'ai jamais été trouillarde, je n'ai jamais eu le vertige, et j'ai affronté bien pire que tout cela. Et pourtant... le paysage grandiose me faisant face ne peut m'empêcher de paniquer à l'idée de descendre une falaise au bord de l'une des plus imposantes cascades de ce monde.

L'Enfer est un Paradis, TOME 2 : La Rage des VertigesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant