Chapitre 17

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Les jours se poursuivent, interminables enchaînements de fanfares bruyantes et dérangeantes. Les Djinns tentent de revenir vers moi, mais leurs pensées assourdissantes me forcent à les fuir. Car c'est bien là une nouveauté dont je me passerais, de lire les pensées des autres. Abby et Calixte sont les seuls que je puisse supporter, en ce moment. Calixte, car sa condition plus animale qu'homme le révèle très avare de paroles, et Abby, car ses émotions sont comme des éclats de bulles dans la tempête que je me dois d'affronter.

Son statut de cadavre doit jouer là-dedans, mais peut-être n'est-ce que la résultante de son caractère foncièrement bon et optimiste. Mes rares moments d'insouciances n'apparaissent que tôt le matin, alors que la villa est encore silencieuse des pensées nocives de ses occupants. Le sommeil me fuit bien souvent, et j'abandonne les images troublantes du passé d'Ismaël pour plonger les yeux dans l'immensité bleutée du lac. Me retrouver devant me permet de me concentrer sur la vie invisible vivant sous l'eau, et d'oublier les agitations de mes congénères. Tout du moins, seulement pour un temps.

-        Satine, j'aimerais que l'on discute.

Ismaël dans mon dos fait gronder sourdement Calixte, aujourd'hui sous la forme d'un renard polaire. Le Djinn ne lui accorde pas la moindre attention, tout focalisé sur moi. Je n'ai pas besoin de me retourner pour le savoir, car je me vois à travers ses yeux. Et cette vision est suffisamment perturbante pour que je pivote dans sa direction, les mains enfoncées dans un épais manteau d'hiver. Ismaël est revenu tard hier soir, et je m'étais déjà exilée dans ma chambre, refusant tout net de passer les repas en compagnie des autres. Pour le moment, c'est trop dur.

-        Tu sais que je n'en ai pas envie, lui lancé-je mollement, tentant de m'écarter de ses pensées.

Le fait de se retrouver à ses côtés m'oblige à me concentrer davantage pour diminuer l'intensité de ses émotions. Tâchant de maintenir la barre, je me forge une armure suffisamment épaisse pour résister à son invasion naturelle, et à me détourner de ce qui nous lie dorénavant pour notre vie entière.

-        Je vais donc te répondre très franchement, vu que tu ne me laisses pas t'atteindre d'une autre manière, réplique posément l'Efrit en faisant un pas en avant. Notre trio ne peut marcher que si chaque membre fonctionne en harmonie avec les autres. Or, ce n'est pas ton cas.

-        Tu n'es pas là pour me faire un sermon, quand même ? m'exclamé-je, brusquement aigre.

-        Non, je suis juste là pour exposer les faits. Tu tentes de combattre ce qui t'arrive en nous repoussant fréquemment, car tu n'acceptes notre aide que pour certaines choses. Il va pourtant falloir que tu comprennes que nous fonctionnons ensemble. Si tu vas mal...

-        Vous allez mal aussi, conclus-je amèrement. Mais vous avez la capacité de vous détacher des autres, et de vous isoler. Pas moi, alors si je vous gêne, vous n'avez qu'à...

-        Ça ne fonctionne pas ainsi, martèle-t-il d'une voix subitement plus dure. Ta souffrance et ton mal être sont autant de choses qui nous appellent, et qui nous tordent les tripes. Même si nous le voulions, nous ne pourrions pas l'ignorer. Pas totalement, tout du moins.

-        Daegan le pourrait.

L'attention de celui-ci dérive vers nous, mais il reste silencieux, laissant Ismaël plaider leur cause seul.

-        En effet, mais Daegan a d'autres préoccupations pour le moment et n'a pas le temps de se concentrer sur toi, m'explique l'Efrit. Ou, plus exactement, il n'a pas le temps de t'oublier pour l'instant. Pour l'heure, tu devras te contenter de mon aide. Je suis là, disponible et prêt à te guider. C'est une offre rare, que nous n'avons pas reçue lorsque nous avons morcelé notre âme en deux. Je sais combien il est éprouvant et étrange de partager son esprit avec une autre personne. Crois-moi, je me souviens parfaitement de nos débuts, et te voir ainsi me rappelle ce que nous avons ressenti. Tes douleurs au ventre ne sont pas dues à ta nouvelle condition, mais si nous parvenons à surmonter ce que tu traverses, je suis persuadé que tes souffrances diminueront. Mais pour cela, il faut que tu nous fasses confiance.

L'Enfer est un Paradis, TOME 2 : La Rage des VertigesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant