Un monde qui s'effondre

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AVRIL 2018


Je n'ai jamais vu ma mère conduire aussi vite, je ne lui ai pas non plus laissé le choix mais elle semble tout aussi anxieuse que moi. Mon cerveau n'arrive pas à assimiler, il imagine le pire, se crée des histoires, des images tout aussi horribles les unes que les autres.

- Putain mais avance ! crié-je au taxi devant nous.

Ce connard s'arrête en double file, prend tout son temps pour accueillir son nouveau client et nous ne savons même pas le doubler puisqu'une longue file embouteillée est à l'arrêt à notre gauche. Avec rage, je klaxonne, de plus en plus fort, en continu.

- Julian ! Stop ! s'écrie ma mère en me tenant le bras. Arrête ça ! Ça ne sert à rien de te mettre dans cet état, d'accord ?

- Maman, avance, je t'en supplie ! m'emporté-je en tirant mes boucles brunes.

- Je fais de mon mieux, calme-toi Julian, bon sang !

Je me tais, car c'est tout ce que j'ai à faire, n'ayant pas le droit de m'adresser à elle comme je le fais. C'est plus fort que moi, Maxence ne m'a pas laissé le temps de réagir et, comme si ce n'était pas déjà assez difficile comme ça, Pauline m'a envoyé un putain de pavé comme message pour me faire la leçon et m'interdire de lui raccrocher au nez comme je l'ai fait. Putain de caractère de merde, elle me gonfle.

Nous sommes arrivés sur le parking de l'hôpital, maman me dépose près de l'entrée et, sans un mot, je me précipite vers celle-ci en essayant de bousculer le moins de personnes possibles. Tant pis pour celles que je ne vois pas sur mon chemin, mes yeux voyagent trop rapidement, je ne discerne rien, ne reconnais personne autour de moi. Suis-je dans le bon hôpital ?

- Julian !

Ah ! Une voix familière. Celle de Jules, il me semble. Ce dernier ajuste son sweat à capuche, l'air embêté tout en me faisant signe de le suivre. Alors je m'active, cours jusqu'à lui puis le dépasse pour me diriger vers la chambre de Camille, dont je reconnais les couloirs.

- Attends ! s'exclame Jules en me rattrapant.

- Laisse-moi y aller Jules, lâche-moi ! m'écrié-je en retirant agressivement mon bras de son emprise.

Sans crier gare, mon torse rebondit, percute un autre et, sans que je n'ai le temps de me rendre compte, deux mains fermes me bloquent le passage en me tenant par les épaules.

- Julian.

- Monsieur Latour ?

Je jette un regard inquiet à la porte fermée de la chambre de Camille, sa mère se tient aux côtés de celle-ci, les yeux remplis de larmes.

Oh putain.

Je réalise que tout le monde est là, Max, Ana, Gaëlle, Jules et ma mère qui nous rejoint. Mon sang ne fait qu'un tour, malgré les trémolos dans ma voix, je contourne le père de Camille pour atteindre la poignée de porte mais il m'en empêche à nouveau.

- Reste ici, Julian.

Son ton est posé, presque calme. Si je n'avais pas remarqué la tristesse dans les yeux de ma belle-mère, je jurerais que rien ne se passe de grave.

- Vous allez enfin me dire ce qu'il se passe ?

- Docteur Lecomte ne va pas tarder. L'état de Camille se dégrade de plus en plus, ils sont occupés à faire quelques examens mais... il est inquiet.

- Comment ça inquiet ? Vous vous foutez de moi ? crié-je.

- Julian ! Ça suffit, me siffle sévèrement ma mère.

Je recule, tire mes cheveux entre mes doigts, le regard perdu. Une main se pose sur mon épaule, je croise quelques paires d'yeux sans savoir réellement qui s'adresse à qui, je n'entends rien sauf cette voix dans ma tête qui m'oblige à croire en elle. Elle va se battre, non ? Tout allait bien, mise à part certaines rechutes, les effets secondaires s'estompaient, les infirmières ne semblaient pas s'inquiéter et Docteur Lecomte insinuait que tout allait bien se passer.

En parlant du loup, sa chemise blanche entre dans mon champs de vision, je m'encours jusqu'à lui, l'évite ensuite pour essayer de m'introduire dans la chambre, crie le prénom de ma petite amie mais sans succès, l'homme aux cheveux poivre et sel m'empêche d'entrer dans sa chambre.

- Alors ? demande Anaïs.

- Camille se repose. Nous avons effectué plusieurs examens médicaux, de ce que l'on sait déjà, le cancer gagne de nouveaux organes, c'est-à-dire que la tumeur s'est propagée à une autre partie du corps. Malheureusement, la maladie commence à prendre le dessus et la chimiothérapie n'est pas assez puissante pour Camille, si l'on continue, elle pourrait nuire à sa santé plus rapidement que le cancer lui-même.

- Vous voulez dire que-

- Attendez ! Vous êtes gentiment en train de nous faire comprendre que vous abandonnez ? Plus de chimio, c'est ça ?

- Nous n'abandonnons pas, nous évitons de mettre sa santé plus en danger qu'elle ne l'est actuellement.

- Oui, c'est une manière plus simple d'annoncer que vous abandonnez ! crié-je en m'approchant.

- Julian, nous ne pouvons prévoir quel impact la chimiothérapie aura sur un patient. Malheureusement, à un certain stade, la maladie peut échapper aux traitements et entrer dans sa phase terminale.

Phase terminale ? Je ne suis pas certain d'assimiler ce que Docteur Lecomte nous raconte mais le gloussement de Madame Latour ôte mes doutes, il s'agit de la fin. Les bourdonnements dans mes oreilles me font mal, les voix autour de moi ne sont que des murmures, mes yeux ne cessent de fixer le docteur qui continue de parler, le reste est flou. Comment a-t-on pu en arriver là ? Qu'est-ce que nous avons fait de mal pour que Camille ne guérisse pas comme la plupart des patients, aujourd'hui ? Je n'y crois pas, c'est un canular, une blague qu'ils me font, je vais me réveiller. Non, encore mieux, ils m'annonceront d'ici quelques minutes que Camille va très bien, elle ouvrira la porte, me sautera dans les bras tout en riant à gorge déployée car je suis tombé dans le piège. Oui, c'est ça, ce n'est qu'une blague.

Je me pince discrètement le bras dénudé ; aucune sensation. Un pas après l'autre, je marche à travers le couloir, ces putains de murs blancs me donnent la nausée, l'odeur des produits peuvent me faire vomir à tout moment alors je ferme les yeux pour tenter de me concentrer. Lorsque je les ouvre, le mur s'est transformé en plafond, mon corps frissonne dû à la froideur du carrelage contre mon dos, mes yeux révulsent avant que ce soit le noir complet.

Un train défile sous mes yeux, il va vite, trop vite même. Cependant, il n'arrive jamais à passer sous ce tunnel qui semble si proche mais loin à la fois. Dois-je le prendre ? Dois-je monter dedans pour qu'il puisse passer cette étape ? Je n'arrive pas à l'attraper malgré que je tende ma main vers lui, personne n'est là pour m'aider. Soudainement, il s'écrase contre un mur.

- Julian !

- Dose quand même sur les gifles...

Je ne sais pas si c'est le bruit ou la chaleur d'une main contre ma joue qui me fait sursauter mais je ne la remercie pas.

- Il est réveillé, je pense.

- Putain, j'ai cru qu'il clamsait, souffle la voix de Maxence près de mon oreille.

Le froid contre mon dos se fait toujours ressentir mais, cette fois-ci, il n'est pas dérangeant, il est même très agréable. Mon front dégouline de sueur, une petite perle salée roule le long de ma joue, vient s'écraser sur mes lèvres et ce n'est pas désagréable, si bien que d'autres suivent le mouvement, inondent mon visage jusqu'à ce que je ferme si fort les yeux qu'elles ne puissent plus sortir.

- Laissez passer ! s'écrie une femme, faisant un boucan pas possible dans ma tête.

Je me sens emporté par des bras fermes, épuisé, je n'ai la force de rien, pas même de questionner ces gens qui me sont inconnus, encore moins de demander à mes amis de m'accompagner parce que, je l'avoue, j'ai peur.

Près de toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant