JUIN 2018
- Julian, c'est à toi mon grand.
J'inspire, expire silencieusement. L'heure est venue de présenter ce pourquoi je suis ici, en costume, devant tous mes camarades de classe, un paquet de feuilles entre les mains. Après l'enterrement de Camille, je ne me suis plus présenté au lycée, je n'en voyais pas l'intérêt. Ma mère comprenait, mes amis aussi. Seulement, le BAC n'est pas à prendre à la légère, qui dit BAC, dit Monsieur Turner, son boulot me semblait trop important pour louper ça. Je suis conscient que le lycée entier est au courant du décès de Camille, le corps professoral comprenait également mon souhait de ne plus me rendre dans leur établissement mais j'étais bien déterminé à rendre ce travail, au moins pour mon professeur principal.
Ce que je ne savais pas la veille de ma venue, et c'est ce que Pauline m'a gentiment expliqué par message, c'est qu'il fallait réciter notre lettre devant toute la classe. Sans déconner, c'est bien pour Camille que je le fais.
- Monsieur Turner, je sais que le but de votre exercice était de s'adresser à l'Amour, au Temps ou à la Mort mais je n'ai pas pu respecter les consignes. J'en suis navré. Cependant, je veillerai à leur faire passer un message à la fin de cette lettre, en espérant, tout de même, gagner quelques points.
- Nous vous écoutons Monsieur Mercier.
Tout cela devient réel, j'ai envie de gerber, claquer mes feuilles contre le bureau de Turner et me barrer en courant pour vomir mon café du matin.
Il faut que je vainc ma peur malgré mes mains moites et mes yeux qui parcourent l'ensemble des élèves. On était si nombreux cette année ? Mon regard capte celui de Maxence qui m'offre un sourire encourageant, ce dernier n'est pas au courant mais le savoir ici, près de moi, me rassure et m'encourage à commencer.
- Camille, il y a quelques mois maintenant, Monsieur Turner insistait, pour ne pas dire harceler, pendant les cours ou lorsque nous le croisions dans les couloirs, de nous remettre une copie du devoir à lui rendre pour la fin de l'année. Était-il simplement au courant de notre rencontre ? Comment souhaitait-il que je me concentre alors que tu étais là, en face de moi, à jouer avec quelques boucles de tes cheveux blonds ? Qu'est-ce que j'en avais à faire du temps ? Pire encore, de la mort ? Je me suis posé un nombre incalculable de fois devant mon bureau, je t'assure, j'ai réfléchi à ce que je pouvais écrire à l'amour et le seul visage que je voyais était le tien. Je ne suis pas doué pour m'adresser aux gens, alors comment voulais-tu que j'écrive une lettre à un sentiment ? Les miens étaient naissants, tu me faisais vivre des choses que je n'avais jamais vécues auparavant, sans déconner Camille, je me demande toujours d'où est-ce que tu viens, comme si nos chemins étaient destinés à se croiser, ces quelques mois près de toi dépassaient mon seuil de bonheur. Bien évidemment, Monsieur Turner n'était pas content que Julian, le petit nouveau de la classe, n'avait jamais ce qu'il souhaitait. Il ne pouvait pas comprendre ce qu'il se passait entre nous ma Cam', tu étais ma petite blonde préférée, celle pour qui je traverserais des frontières. D'ailleurs, j'en suis toujours capable, tu sais ? J'ai décidé de t'écrire cette lettre pour te remercier d'avoir changé ma vie ainsi que ma vision de certaines choses. Près de toi, je me sentais capable de tout, même de monter dans une putain de grande roue. Auparavant, je ne pouvais me rendre à un marché de Noël sans traîner des pieds. Maintenant, je m'y recueillerai pour toi sans réfléchir. Tu m'as donné goût à la vie, j'ai appris beaucoup de choses. Près de toi, je n'avais plus peur de rien, on était censé affronter la vie ensemble mais celle-ci en a décidé autrement. Près de toi, je me sentais en confiance, comme si tous les malheurs du monde n'existaient pas, une multitude de graviers pouvaient bien s'effondrer, près de toi j'aurais eu la force de les retenir pour que rien ne s'arrête.
Une goutte d'eau s'échoue sur mon récit, glisse vers le bas faisant couler sur son chemin l'encre de mon stylo. Une seconde larme s'oppose à la première tandis que je ravale les prochaines qui menacent de couler pour garder une voix calme et posée, essuyant rapidement l'une de mes joues.
- Seulement... cette fichue maladie a débarqué et tout s'est vu chamboulé. Et si j'avais agi différemment, comment aurais-tu gérer la maladie ? Je me pose sans cesse les mêmes questions, je n'ai jamais voulu te l'avouer mais je me suis toujours senti coupable, comme si l'accélération de ta maladie... c'est... c'est moi qui l'avait déclenchée. C'est bête, je sais que tu rirais de moi, tu me dirais que je suis bête, que je n'ai rendu que tes derniers jours meilleurs mais... on ne sait jamais comment aurait pu se passer les choses si nous n'avions pas agi ainsi. Cela dit, je suis heureux d'avoir pu être présent jusqu'à la fin, j'espère sincèrement que tu es partie en paix et que tu te sens mieux là où tu es.
J'inspire, ma tête tourne et j'essaie, tant bien que mal, de refouler mon envie de tout arrêter.
- Ta hantise était que je t'oublie mais comment oublier quand on a aimé ? Tu étais mon premier amour et tu le resteras. D'ailleurs... j'aimerais remercier l'Amour, ce sentiment si paisible mais douloureux à la fois. Ah, je vous assure qu'il est trompeur, tu as beau aimé, ça n'empêchera pas la souffrance. Il ne suffit pas d'une dispute, d'une séparation ou que sais-je pour avoir mal. Non. J'en suis la preuve. Je t'aime Camille mais je souffre tellement.
Ma pomme d'Adam monte puis redescend, elle m'aide à ravaler ma tristesse.
- Le Temps m'aide pas mal en ce moment. Tu sais, il est passé si vite ces derniers mois que je lui en voulait à mort mais, finalement, il aide à cicatriser les blessures les plus profondes, du moins, c'est ce que l'on cesse de me répéter. À voir, j'ai simplement peur d'oublier ton visage à cause de lui. Quant à la Mort, je ne lui en veux pas non plus mais... comment dire ? Je l'emmerde bien profondément. Elle n'avait pas le droit de nous séparer, on avait trop de choses à vivre, pourquoi t'a-t-elle enlevée si brusquement ? Mon cœur ne le supporte pas Camille, j'aimerais tellement que tu reviennes, te serrer contre moi, sentir ton odeur qui m'envoûtait jusqu'à ce que je devienne complètement dingue. Comment se relever quand ma seule force n'est plus là ? J'essaie, je te jure que je fais de mon mieux pour aller bien mais... c'est difficile. Tout était plus facile quand tu étais là.
J'ose un regard par-dessus mes feuilles ce que je regrette presque instantanément. Monsieur Turner a retiré ses lunettes, si je m'attardais sur les détails de son visage, je parierais qu'il soit ému. Max, lui, pleure à chaudes larmes, il ne s'en cache pas et Pauline à ses côtés lui caresse gentiment le dos. Cette dernière semble triste, je vois dans ses yeux qu'elle m'encourage à terminer et, lorsqu'elle me sourit, mes yeux reprennent leur chemin là où ils s'étaient arrêtés.
- Cette lettre, j'ai décidé de l'écrire pour que, peu importe le moment, le jour et l'heure, je puisse la relire et me souvenir de ses sentiments si intenses que j'éprouvais à ton égard. Je sais que le Temps m'aidera mais pas pour l'instant, tu n'es peut-être plus là mais, dans mon cœur, tu es l'es toujours. Je t'aime Camille.
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Près de toi
Teen FictionCroyez-vous au destin ? Pensez-vous que tout est déjà écrit ? Et si nous avions agi autrement, la fin aurait-elle été la même ? Julian Mercier ne le saura jamais. Suite au divorce de ses parents, Julian, 18 ans, décide de suivre sa mère et s...