Tomber des nues

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JANVIER 2018


- Bonjour Julian. Que me vaut ta présence ?

Je ne suis plus sûr de rien.

- Est-ce que... Est-ce que Camille est là ?

- Non, elle n'est pas là. Cependant, elle ne devrait pas tarder.

Il semble hésité, sa mine est triste et fatiguée, il n'est pas en forme.

- Viens, entre mon grand.

Stupéfait, j'obéis avant qu'il ne change d'avis. J'entre, méfiant, jusqu'à ce qu'il me propose à boire et je décline. Était-ce une bonne idée d'accepter alors que Camille n'est pas là ? Qu'est-ce qu'on va pouvoir se raconter ? Il s'est passé beaucoup de choses, je doute qu'il accepte, du jour au lendemain, ma présence auprès de sa fille, ça n'a ni queue ni tête.

- Assieds-toi, je t'en prie.

Monsieur Latour se sert un verre de whisky, un rictus sur les lèvres, prêt à parler une seconde fois, l'homme aux cheveux poivre et sel renverse alors quelques gouttes sur le sol, ce qui l'en empêche. D'un rapide mouvement de main, il essuie le parquet, brillant jusqu'à ce qu'il gaffe, d'un torchon rouge et noir tout en râlant dans sa barbe.

- Qu'est-ce qui t'amène ? souffle-t-il en se relevant.

À voir la tête qu'il fait et sa main qui se tient le bas du dos, je devine qu'il a mal, c'est bien dommage que je ne puisse pas l'aider, j'ai encore trop peur des réactions dans cette famille.

- Je n'ai pas vu Camille de la journée, je souhaitais lui parler...

- J'en conclus que vous vous voyez toujours, affirme l'homme.

- Oui Monsieur, avoué-je.

Ça ne sert, de toute façon, à rien de lui mentir.

- J'apprécie ton honnêteté.

Il s'assoit face à moi et je déglutis.

- Que lui trouves-tu de si spécial ? me demande-t-il et je crois rêver.

- À Camille ?

Bien sûr à Camille. Qui d'autre ?

- Et bien... Votre fille est gentille Monsieur Latour. Elle est drôle et, quand on apprend à la connaître, ce grain de folie en elle est unique. Ce côté timide mais sauvage m'a littéralement touché, elle ne me laissait pas l'approcher et pourtant... quand je faisais le contraire, elle m'en voulait. Je n'ai jamais rencontré quelqu'un comme Camille, je... Croyez-moi, je donne tout ce que j'ai pour essayer de la rendre heureuse.

Il faut absolument que j'arrête de parler, mon cœur s'est laissé aller, comme trop de fois lorsque je parle de Camille.

- Tu m'as l'air d'être un bon gars, Julian.

- Merci ? tenté-je.

Un long silence s'installe jusqu'à ce que le malaise se transforme en sonnerie de portable, le bon vieux cliché d'un téléphone fixe qui sonne.

- Excuse-moi, c'est le boulot. Tu peux monter, elle devrait bientôt arriver. Allô, oui ?

Il s'en va dans l'arrière-cour de son jardin tandis que j'inspecte la cuisine puis le salon. D'énormes guirlandes de Noël fatiguées restent bredouilles dans les airs, elles semblent avoir été oubliées ? Il en va de même pour une vieille statue de cerf accrochée au-dessus de la cheminée. Comme me l'a conseillé Monsieur Latour, je décide de grimper à l'étage afin de patienter gentiment dans la chambre de ma petite amie, peut-être sera-t-elle heureuse que je sois venu la voir.

Cette douce odeur de vanille m'avait manquée, elle remplit mes poumons comme une bonne dose d'air frais, un rien peut me rendre heureux concernant Camille. Sa chambre est rangée, son bureau, lui, ne l'est pas. Une tonne de photos est éparpillée sur celui-ci, la moitié concerne Anaïs, elle est présente sur un bon nombre de clichés, Camille à ses côtés. Qu'elles soient bébés, enfants ou adolescentes, les deux meilleures amies ne se lâchent jamais, toujours photographiées l'une dans les bras de l'autre et inversement. Leur lien doit être indescriptible.

- Max, me chuchoté-je en prenant une photo entre mes mains.

Mon ami aux cheveux bruns doit avoir une quinzaine d'année, son crâne est dépourvu de poils tandis que ses bras sont tous les deux levés vers le haut, ses doigts écartés en signe de victoire. Il n'a pas changé, les traits de son visage ont pris en maturité mais cette bouille d'enfant reste toujours là malgré tout.

En arrière-plan, je constate que ce n'est plus une pellicule qui s'y trouve mais un énorme dossier au logo jaune et à l'écriture bleu foncée, marquée en lettres capitales « CHU de Nantes ». Intrigué, je jette un coup d'œil vers la porte pour être certain que personne ne m'observe. Ensuite, je m'autorise à mettre de côté les photos qui cachent chaque extrémité du tas de feuilles afin d'avoir une vue entière sur le dossier médical.

Le numéro du dossier, son nom, son prénom, sa date de naissance. Il s'agit bien de son répertoire personnel. Mais pourquoi est-il si imposant ? Dois-je lui demander ou est-ce que je continue à jouer au curieux en fouillant secrètement dans ses affaires ? Dans les deux cas, elle m'en voudra.

Finalement, je soulève la page de garde pour découvrir la suite, le cœur battant à tout rompre. Je lis entre les lignes, mon sang ne fait qu'un tour, je me liquéfie sur place tandis que mes yeux ne cessent de lire et relire noir sur blanc ce qui se trame ci-dessous, quand la vérité frappe de plein fouet.


« Statut du patient : Étudiante

Groupe sanguin du patient : A-

Nom du médecin traitant : Monsieur Maillet

Traitements au CHU de Nantes : Radiothérapie (voir pour chimiothérapie)

Maladie diagnostiquée au CHU de Nantes : Cancer du pancréas »

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