CHAPITRE 40 : CONFIDENCES (HYPOTHÉTIQUES)

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La chaleur de la ville était particulièrement étouffante, aujourd'hui. Kageyama avait du mal à croire qu'il était en janvier. La météo de Bangkok était bien différente de celle de Tokyo en cette saison.
Il se baladait dans les rues bondées pour essayer de se vider la tête, mais il avait chaud et se sentait étouffé. L'entraînement de la journée avait été rude et l'avait épuisé. De plus, il avait été d'une humeur exécrable ces derniers jours, depuis que Hinata lui avait dit de l'oublier – comme si c'était possible. C'est bien pour cette raison qu'il avait eu l'impression que sa journée s'était illuminée lorsqu'un peu plus tôt dans l'après-midi, il avait reçu un message de Hinata lui disant qu'il reconsidérerait sa proposition de l'accompagner à Amsterdam.
Quand il avait vu le message, son cœur avait fait un bond dans sa poitrine. Il avait beaucoup de mal à suivre Hinata, ces derniers temps. Il changeait beaucoup d'avis et semblait tantôt froid, tantôt chaleureux. Mais pourtant, il s'était raccroché à son message. À vrai dire, cela l'avait tellement survolté qu'il en avait trop dit. Quand Hinata lui avait tendu cette perche en lui demandant ce qu'il voulait, ses doigts avaient réagi avant même que son cerveau ne l'exige. Il s'était donc retrouvé à contempler le « Toi » qu'il avait envoyé, impuissant. Le pire était que depuis, Hinata n'avait pas répondu, si bien qu'il en concluait que la discussion était close.
Il l'avait probablement fait paniquer. Il en était presque certain. Depuis le retour de Kageyama dans sa vie, Hinata se montrait craintif, à l'instar d'une bête sauvage prête à fuir au moindre mouvement brusque. Kageyama ne pouvait pas lui en vouloir. Il le comprenait. Lui aussi avait tendance à être sur ses gardes.
Cependant dernièrement, Kageyama se montrait un peu trop entreprenant. Quand il y réfléchissait, il se demandait ce qui avait bien pu lui passer par la tête pour proposer à Hinata de l'accompagner à Amsterdam en février. Il avait en fait sa petite idée, s'il était honnête. Quand il avait compris qu'il ne pourrait pas faire ce détour ce mois-ci, il avait été soulagé même si cela ne faisait que repousser le problème. L'idée de devoir organiser un vrai voyage depuis Tokyo jusqu'aux Pays-Bas un peu plus tard avait fini par l'angoisser. Il n'avait pas envie d'y retourner et s'était vite rendu compte qu'y aller seul était au-dessus de ses forces.
Alors presque sur un coup de tête, il avait proposé à Hinata de l'accompagner. La justification qu'il lui avait donnée n'était pas pour autant fausse. Il pensait que ce voyage pourrait leur faire du bien en leur permettant de comprendre ce qu'ils attendaient l'un de l'autre. Quoi de mieux que de passer du temps avec une personne pour déterminer ses attentes vis-à-vis d'elle ? Mais ce n'était pas sa motivation première, il était obligé de l'admettre.
Enfin ceci dit, il s'était bien gardé de l'admettre à Hinata. Après tout, il n'avait pas besoin d'en savoir plus et de toute façon, Kageyama ne se sentait pas capable d'en parler. Il avait beaucoup trop honte de sa vulnérabilité, entre autres choses.
Il s'assit sur un banc à l'ombre, un peu à l'écart de la cohue. Ces deux dernières semaines avaient été très étranges. D'un côté, les préparatifs pour la saison de volley qui allait reprendre le plongeait dans un bonheur extatique. De l'autre côté, quitter le Japon en laissant la situation avec Hinata dans un tel flou lui avait miné le moral. Il avait la chance d'être très occupé. Au moins, cela lui permettait d'oublier Hinata par moment et de pouvoir souffler. Mais ces instants de répit étaient toujours de courte durée et son visage finissait toujours par lui revenir inlassablement en tête.
Et à présent, au vu de la manière dont s'était terminée leur dernière conversation, ça n'allait qu'empirer. Qu'était-il censé faire pour garder le contrôle ? Renvoyer un message à Hinata en lui disant que c'était une blague ? Attendre qu'il relance un jour la discussion ? La relancer lui-même en prétendant qu'il n'avait rien dit de spécial ?
Kageyama, accoudé sur ses genoux, plongea son visage entre ses mains. Il avait envie de hurler. Peut-être que Hinata avait raison, finalement. C'était peut-être bien plus compliqué qu'il ne l'avait pensé.

*

Le bruit du ballon s'écrasant contre le parquet résonna dans le gymnase silencieux. Kageyama essuya la sueur qui dégoulinait sur son front d'un revers de main et prit un autre ballon dans le bac à côté de lui. Il fit un service à pleine puissance et cette fois-ci, le ballon pulvérisa la petite bouteille d'eau qui était placée proche de la ligne gauche du terrain adverse. Il regarda la bouteille qui avait roulé un peu plus loin d'un air satisfait. Il combinait de mieux en mieux sa puissance avec sa précision.
En nage, il retira son maillot et le lança sur un banc à quelques mètres derrière lui. Il se pencha pour attraper sa gourde pour se désaltérer et son regard fut inexorablement attiré par son médaillon qui pendit un instant sous ses yeux. Il l'attrapa du pouce et de l'index et l'observa avant de le lâcher en soupirant.
Trois jours s'étaient écoulés depuis son dernier échange avec Hinata. Kageyama ne savait pas s'il devait en tirer une quelconque conclusion. Trois jours n'étaient que trois jours, après tout. Cela ne signifiait pas que Hinata le fuyait. Du moins, il l'espérait.
Il prit son téléphone pour jeter un coup d'œil à l'heure. Il était presque vingt-deux heures trente, ce qui signifiait qu'à Tokyo, il n'était pas loin de minuit et demi. Hinata ne devait probablement pas dormir. Kageyama l'imaginait parfaitement, affalé sur son lit, épuisé par une nouvelle journée de travail. Il ne pouvait s'empêcher de se demander si lui aussi, il se torturait l'esprit en pensant à lui.
Kageyama se mit à tapoter nerveusement du pouce sur son téléphone, qu'il avait toujours en main. Il était censé rentrer à Tokyo d'ici une semaine et demie environ. D'ici là, il fallait absolument qu'il relance une discussion quelconque. Sinon, il serait incapable d'aller affronter Hinata en pensant au dernier message qu'il lui avait envoyé. Il réfléchit un petit moment  à ce qu'il pourrait dire. Il ne savait pas vraiment sur quel ton engager la conversation.
Plus il se creusait la tête, plus il perdait ses moyens. Il finissait par trouver idiot chaque mot que formait son esprit. C'en devenait ridicule et franchement pathétique. Il lui suffisait de se comporter comme une personne normale et d'envoyer un message normal. Il prit une grande inspiration et déverrouilla son téléphone d'un air décidé, avant de se mordre la lèvre inférieure en lisant le dernier message envoyé sur leur conversation. « Toi ». C'était suffisant pour lui donner envie de disparaître de la surface de la planète. Mais pourtant, il ne se dégonfla pas et prit son courage à deux mains.

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