DERNIER SET

CHAPITRE 69 : FOUTU

Kageyama était frustré. Sa frustration était telle qu'il avait à peine fermé l'œil de la nuit. Les images du match tournaient en boucle dans son esprit, si bien qu'il avait la sensation de n'avoir jamais vraiment quitté le terrain de volley. Il n'arrivait pas à comprendre ce qui s'était passé. Cette incompréhension l'avait gardé éveillé jusqu'à tard dans la nuit et l'avait réveillé dès l'aube. C'était la raison même de sa frustration grandissante qui à présent se muait peu à peu en rage.

Tout avait pourtant si bien commencé. Avant le match, il avait veillé à être dans de bonnes conditions. Il s'était bien sûr reposé et avait pris le temps de s'offrir un moment de calme, seul avec lui-même. Il s'était appliqué à vider son esprit, à se focaliser sur sa respiration et sur chaque partie de son corps, afin de faciliter le passage vers une concentration optimale. Et en arrivant sur le terrain, galvanisé par les encouragements du coach et de l'équipe, il s'était senti confiant et serein. Il avait ressenti cette exaltation, cette hâte d'en découdre.

Le premier set s'était déroulé comme dans un rêve. Il s'était senti à sa place, en osmose avec le terrain tout entier, la totalité de son esprit concentré sur une seule et unique chose : ce match de volley. Chaque geste lui avait semblé naturel et évident, comme cette seconde main dont il n'était pas peu fier.
Puis le premier set avait pris fin et les problèmes avaient commencé. Finalement, ce n'était pas tellement que Kageyama n'arrivait pas à comprendre pourquoi tout avait basculé, mais plutôt qu'il n'arrivait ni à accepter, ni à admettre ce qui s'était passé.
Pourtant, les faits étaient là. Le premier set avait pris fin et alors qu'il discutait avec Daisuke, son regard avait croisé celui de Hinata. Il l'avait reconnu sans le moindre doute malgré la distance. Des cheveux orangés flamboyants, deux acolytes et un enfant à ses côtés. Qui cela aurait-il pu être d'autre ? Cet échange de regards s'était prolongé pendant quelques malheureuses secondes et cela avait suffi à déstabiliser Kageyama, qui s'était maudit d'avoir donné à Hinata des places si proches du terrain.
Il avait pourtant réussi à réellement vider son esprit, à ne plus penser à Hinata pendant de longues heures et en un regard, tout avait été balayé. Il avait ressenti un trac inattendu à l'idée de faire le moindre faux pas devant lui, comme s'il venait de découvrir qu'il le regardait. Tous les questionnements qu'il avait consciencieusement rangés dans une petite boîte au fond de son cerveau étaient revenus lui embrouiller l'esprit. Il s'était demandé pourquoi il était nerveux à l'idée de jouer devant Hinata alors que cela n'aurait aucun impact sur sa carrière, alors qu'ils n'avaient pas de relation sérieuse, alors qu'à l'origine, ils étaient censés avoir coupé tout contact.

C'est dans cette tourmente que Kageyama avait entamé le deuxième set et la descente aux enfers avait commencé. Tout le charme du début du match s'était rompu et l'osmose avait disparu. Il avait eu la sensation de ne plus être synchronisé avec son corps et chaque action était devenue de plus en plus coûteuse en efforts. Et plus les erreurs s'étaient enchaînées, plus sa nervosité s'était amplifiée, ce qui n'avait fait que détériorer d'autant plus la qualité de son jeu. Pris dans ce cercle vicieux, il avait désavantagé l'équipe, au point de devoir être remplacé.
Il avait tellement honte de lui. Il était dans une telle colère contre lui-même. Il s'était laissé dévorer par le stress comme un débutant. Et le pire dans toute cette situation, il devait l'admettre, c'est qu'il avait laissé Hinata fissurer sa concentration, ce qui avait provoqué cette réaction en chaîne qu'il n'avait pas su garder sous contrôle. Tout était parti de lui et il avait beaucoup de mal à l'accepter. Comment Kageyama avait-il pu laisser Hinata le perturber à ce point-là, à ce niveau-là ? Il était tellement déçu de lui-même qu'il n'aurait pas pu trouver de mots assez forts pour le verbaliser.
Cela ne l'avait pas empêché, lorsqu'il avait retrouvé sa chambre la veille au soir, d'ouvrir son armoire et d'en sortir une petite boîte du fin fond d'un tiroir. Il l'avait ouverte et avait pris le médaillon que Hinata lui avait offert en pensant qu'à l'origine, il avait prévu de le porter pendant tous ses matchs. Les yeux rivés sur le numéro dix gravé sur ce cercle argenté, il avait senti son coeur se serrer. Il n'était cependant pas vraiment sûr que le porter lui aurait été d'une grande aide au vu de la raison de sa détresse. Il l'avait soigneusement rangé à ce qui était dorénavant sa place et était allé se coucher le moral encore un peu plus miné.