DERNIER SET

CHAPITRE 50 : AU REVOIR

Environ 1 an plus tôt

Assis sur une chaise, Kageyama fixait les trois grosses valises qui trônaient dans l'entrée. Il se leva et regarda avec attention le salon dans lequel il se trouvait. Il avait vécu ici plus de deux ans. Cela avait été son premier appartement d'adulte. Et le lendemain matin, il le quitterait définitivement. Il retournerait au Japon, dans son pays natal.
Il redoutait ce changement autant qu'il l'attendait. L'idée de retrouver les siens le rendait heureux. Le Japon, ses racines, ses proches lui manquaient beaucoup.
Mais quitter une ville où il avait été heureux, où il s'était épanoui, où il y avait des gens qu'il aimait était difficile. Maintenant, une partie de sa vie serait toujours à Amsterdam. Partir n'était pas facile.
Son état d'esprit aurait pu se résumer à ce simple tiraillement mais Kageyama n'avait évidemment pas cette chance. Parce que ce soir, bien qu'il se soit promis de ne pas le faire, il pensait à Jozua. Sans lui, il n'aurait jamais été dans cette situation. Il aurait probablement fini par rentrer au Japon, mais ne l'aurait pas fait dès maintenant. Pas alors qu'il n'était pas sûr de ce qu'il allait advenir de sa carrière. Pour l'instant en effet, il n'avait aucune certitude d'être recruté rapidement dans une nouvelle équipe. Des négociations étaient en cours mais elles étaient longues et il n'avait plus le temps d'attendre.
Cela faisait environ un an qu'il n'avait plus vu Jozua et pourtant, le sentiment d'insécurité qu'il lui avait laissé l'empêchait de vivre normalement. Il aimait toujours Amsterdam, mais il ne s'y sentait plus bien, à son grand regret. Jozua avait profondément changé sa perception de la capitale. L'endroit où il avait toujours été heureux était devenu l'endroit où il s'était fait maltraiter.
Kageyama sentit sa poitrine se serrer et sa gorge se nouer. Il n'aimait pas ce mot. Il n'aimait en fait pas du tout définir ce que Jozua lui avait subir. La plupart du temps, il essayait juste de ne pas y penser. La plupart du temps, il échouait.
La nuit, quand il était étendu sur son lit, incapable de trouver le sommeil, des images lui revenaient. Il revivait les coups, les paroles, les regards. Il replongeait dans cet appartement qui ne lui avait jamais plu et se revoyait pris au piège avec Jozua sans vraiment l'être.
Il lui arrivait de repenser à la fois où il avait osé le repousser physiquement, alors qu'il commençait à se montrer menaçant. Il n'avait ensuite pas pu dormir pendant des jours à cause de la douleur. Quand ce souvenir lui traversait l'esprit, il se demandait comment Jozua avait toujours su le maîtriser si facilement, lui qui avait pourtant de la force, et se rappelait qu'il ne s'était jamais vraiment débattu.
Il se souvenait également des entraînements qu'il avait ratés et de ses performances sportives qui avaient parfois frôlé la médiocrité. Rester excellent avec un corps meurtri s'était avéré impossible.
Parfois, il repensait à la bêtise dont il avait fait preuve lorsqu'il avait parlé de Hinata à Jozua pour la première fois. Il s'était confié, avait admis sa culpabilité et sa honte. Et Jozua s'en était servi, encore et encore, lui rappelant qu'il devrait s'estimer heureux que quelqu'un – Jozua – tienne à lui alors qu'il n'avait aucun sens de la loyauté, lui qui avait tourné le dos par deux fois à l'un de ses amis les plus proches.
Malgré ces souvenirs envahissants, Kageyama essayait de se convaincre que cela appartenait au passé et que c'était sans importance. Il avait essayé de s'en convaincre pendant une longue année. Il avait essayé de reprendre une vie normale à Amsterdam. Et même si Jozua se trouvait à l'autre bout du pays, son sentiment d'insécurité ne s'était jamais évanoui. Et il ne pouvait plus vivre ainsi. C'est ainsi qu'au début du mois de janvier, il avait brusquement décidé de rentrer au Japon. Il devait quitter Amsterdam, peu importe à quel point cela le rendait triste. Il préférait la tristesse à l'angoisse permanente.
Il ne pouvait cependant qu'apprécier l'ironie de la situation. Une fois encore, il fuyait et en plus, il fuyait la ville qui lui avait servi de refuge en premier lieu. Il se dit avec amertume que Hinata aurait sûrement apprécié l'ironie, lui aussi.
Le coeur de Kageyama se serra lorsqu'il pensa à Hinata. Le lendemain, il serait à Tokyo. Il se demandait si Hinata y était toujours, s'il prenait encore des cours du soir, s'il travaillait toujours dans cette supérette. Il se demandait quelle aurait été sa réaction s'il avait su à quel point Kageyama avait touché le fond, ces derniers temps. S'en serait-il réjoui ? S'en serait-il inquiété ?
Kageyama poussa un long soupir et jeta un coup d'œil à sa montre. Il était temps pour lui d'arrêter de ruminer. Il l'avait assez fait toute la journée, de toute façon. À présent, Xander et d'autres amis l'attendaient. Après tout, il fallait bien qu'ils célèbrent tous ensemble sa dernière soirée à Amsterdam.