Chapitre 10 : "Ils ne se méfient absolument pas"

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        Le petit village de Faisting Light dans le nord de l'Ecosse devait être l'un des endroits qui connaissait le moins d'événements remarquables au monde. Sa population n'était plus du premier âge et les rares enfants qui y vivaient étaient obligés de se rendre dans la ville voisine durant l'année pour suivre leurs cours. Les événements les plus marquants qui s'y étaient déroulés ces dernières années étaient le tournoi de pétanque de 1993 durant lequel Ian Bisset avait malencontreusement reçu une boule sur le pied, lui broyant plusieurs orteils, et la battue qui avait eu lieu l'été passé pour tuer un renard ayant mangé plusieurs poules du couple McCabe. Mais depuis, le village n'avait plus eu grand chose à se mettre sous la dent et les discussions à l'unique café du village tournaient en rond. 


       Pourtant, en cette douce soirée d'été, si les villageois avaient pris la peine de regarder par leur fenêtre –ce qu'ils ne faisaient plus depuis bien longtemps–, ils auraient sûrement aperçu plusieurs ombres passer devant chez eux. Des ombres bien singulières, dans de longues capes noires, leurs visages dissimulés sous de grandes capuches même à la lumière des quelques lampadaires du village, qui semblaient terriblement pressées. Ces ombres allaient toutes au même endroit : au coeur du village, légèrement en amont de la place de l'église, arrivant seules ou par groupes de deux ou trois, elles soulevaient la plaque d'égout, se glissaient dans l'ouverture et refermaient derrière elles dans un silence total. On n'entendait même pas le fer racler contre le bitume. 


« Je ne comprends pas pourquoi Kyle a choisi cet endroit, c'est répugnant ! Regarde ça, le bas de ma robe est trempé. 
—  Arrête de te plaindre, c'est toujours mieux qu'Azkaban. 
       Deux des ombres qui venaient de passer par la trappe d'égout marchaient à grands pas sous le village. Le premier à avoir parlé avait enlevé sa capuche laissant apparaître un visage pâle aux yeux bleu électrique. Ses cheveux blonds plaqués en arrière et son expression renfrognée lui donnaient un air sévère. Il était grand et large et devait presque se baisser dans les égouts au plafond bas du village. 
L'autre avait gardé sa capuche. Il marchait devant le blond d'un pas lisse ; sa cape ondulait à peine autour de lui et son corps n'avait aucun mouvement, il semblait glisser sur le sol. Il avait parlé d'une voix cinglante ne laissant pas de place à la moindre réplique de son congénère, malgré une corpulence bien moins imposante. 


       Ils arrivèrent devant une porte en métal rouge. Le plus petit posa sa main dessus et la porte s'effaça sur un couloir semblable à celui qu'ils venaient de traverser, à la différence que celui-ci n'avait pas de ruisseau dans son fond. Il débouchait sur une salle sombre, légèrement plus haute de plafond, faite dans la même pierre froide et humide que le reste du réseau souterrain du village et éclairée par des bougies qui faisaient danser des lumières rougeâtres sur les murs. Il y avait déjà un groupe d'une bonne demi-douzaine de personnes, elles aussi dans de longues capes noires, rassemblées autour d'une table en bois sombre massif. 
« Ah, Braceus et Gareth, nous n'attendions plus que vous, déclara un homme large au visage rond et au crâne dégarni qui trônait en bout de table, les mains jointes dans une attitude solennelle. Prenez place, je vous en prie. 
Les deux hommes s'assirent aux deux places restantes, en bout de table sur la gauche de l'homme qui les avait accueillis. Il reprit : 
—  Maintenant que tout le monde est là, nous allons pouvoir commencer. Braceus, as-tu obtenu l'information que je t'ai demandée ? demanda-t-il au grand homme blond. 
—  Oui, Kyle : il habite en périphérie d'une ville au nord de Londres. Il n'y a aucune précaution particulière, juste les sorts de protection les plus basiques, ils ne se méfient absolument pas. 
—  Très bien. Tu m'as dit que les professeurs quittaient pour la plupart Poudlard le dimanche soir, Elwyn, c'est bien cela ? 
—  C'est cela, acquiesça un jeune homme barbu. 
—  Eh ben c'est parfait, on pourra attaquer dès dimanche soir, alors ! s'exclama un femme aux traits grossiers un peu empâtée. 
—  Ce n'est que dans deux jours, Amalia, nous aurons probablement besoin d'un peu plus de temps que cela. 
—  Pour quoi faire ? A neuf contre un, il a aucune chance, insista-t-elle. 
—  Encore faut-il qu'il ne soit qu'un, Amalia. Rien que le fait qu'il vive chez cet être répugnant demandera un peu de planification pour pouvoir le coincer seul. 
—  Mais, qu'est-ce que ça change que le loup-garou soit là ou non ? 
Cette fois, c'était un homme aux cheveux châtain-roux, un air un peu patibulaire s'accordant mal avec son visage doux, qui avait parlé. 
Kyle soupira puis reprit la parole, s'efforçant de rester calme : 
—  N'oublions pas que nous allons nous attaquer à un sorcier très puissant, mes amis, et que nous ne pouvons pas compter uniquement sur notre nombre supérieur. Nous devons l'attaquer à un moment où personne ne pourrait lui venir en aide, et je dis bien personne, pour éviter que, justement, nous nous retrouvions en sous-nombre. 
—  Mais on peut très bien gérer... 
—  Ça suffit, Amalia ! J'ai dit que nous l'attaquerons seul, alors nous l'attaquerons seul. 
La femme aux traits grossiers s'enfonça dans sa chaise en rougissant, furieuse. 
      Elle ne comprenait pas pourquoi Kyle était si précautionneux : qu'ils soient deux ou un à combattre, ça ne changeait pas grand chose. De plus, ils bénéficiaient de l'effet de surprise puisque apparement, personne ne se doutait de l'existence de leur petit groupe de fidèles aux idées du lord noir. Alors prendre autant de précautions était ridicule. Il valait mieux attaquer rapidement, ne pas laisser tout cela trainer. Cela ferait du bien à tout le monde de le savoir enfin mort et il fallait profiter de la haine encore fraîche envers lui avant que le temps ne l'estompe. Trop attendre, c'était prendre le risque qu'ils se ramollissent, y mettent moins d'entrain et échouent. C'était aussi prendre le risque qu'on les découvre, ou au moins que l'on remarque qu'il manquait des partisans du Seigneur des ténèbres à Azkaban. Car il ne fallait pas oublier que Kyle, bien qu'il avait toujours agi dans l'ombre –ce qui expliquait que les aurors semblaient pour l'instant être passés à côté de son absence dans la prison– était un mangemort.
Kyle avait peur, c'était tout. Amalia l'avait toujours trouvé un peu lâche, alors ce n'était pas étonnant qu'il ait si peur d'attaquer cette ordure. 

Les loups ont des sentimentsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant