Chapitre 27 : "Tu le sens, le sol froid et dur ?"

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         Snape fut le premier à reprendre à peu près connaissance. Il se déplaça difficilement vers la chevelure blonde aux mèches collées par le sang qui y avait coulé. La pauvre Narcissa était défigurée. Son oeil et sa joue droite étaient gonflés en un énorme hématome violacé et Snape soupçonnait sa pommette d'être cassée ; son arcade brisée avait déversé un flot de sang sur son visage ; elle présentait de nombreuses coupures et égratignures tant les coups portés avaient été violents. Snape aurait aimé au moins enlever tout ce sang de son visage, mais il n'avait pas la moindre goutte d'eau pour faire cela et ne put que la regarder, désolé. 
       Il hésitait à la réveiller, inquiet qu'elle ne se réveille justement pas, mais sachant que lorsqu'elle reprendrait conscience, tout son corps la ferait souffrir. 
Finalement, il ne fit rien mais resta près d'elle pour vérifier régulièrement qu'elle respirait et être présent si elle se réveillait. Après tout, c'était le seul type de sommeil auquel elle pouvait aspirer, de s'évanouir sous les coups, il fallait la laisser en « profiter ». 


       Snape n'avait pas été aussi conscient et alerte que depuis que Narcissa était là. Sa présence l'obligeait à rester lucide, à ne pas plonger dans sa douleur, guidé par un relent de conscience qui le poussait à être en capacité d'assurer une présence si Narcissa, dans cette situation infecte, insupportable, en avait besoin. Il se savait très éloigné de la personne idéale sur qui se reposer lorsqu'on avait besoin d'un soutien, mais il se savait également le seul à pouvoir fournir quelque chose qui s'en approchait. Il refusait surtout d'ajouter aux problèmes de Narcissa : il ne voulait pas qu'à son réveil, elle ait à se demander s'il était toujours en vie. Il voulait au moins assurer une présence stable, dégageant un semblant d'humanité, qu'elle puisse se reposer sur lui comme lui se reposait sur elle pour garder la tête hors de l'eau, rester présent, conserver l'usage de son esprit. 


       Il ne doutait pas du courage de Narcissa, mais lui-même qui se reconnaissait un certain courage sentait que ça n'était pas suffisant. Et, bien qu'elle fut certainement l'une des personnes les plus courageuses qu'il ait rencontrée, trait apparemment répandu dans la famille Black (au milieu de quelques autres défauts tels que l'adhésion à la pensée suprémaciste du sang sorcier), elle n'avait jamais été réellement, pleinement investie dans l'univers mangemort ; elle l'avait côtoyé de plus près que n'importe qui, avait clairement adhéré à leurs idées, mais elle n'avait jamais été intégrée à leurs pratiques. Elle ne faisait pas partie de l'équation aux yeux de Voldemort, elle faisait simplement partie du décor. Aussi n'avait-elle acquis que très peu de résistance à la torture ou à ce genre de condition de vie extrême. Sa seule force était de très bien connaître la torture pour l'avoir vue de près, mais elle n'avait pas dû y être soumise plus d'une ou deux fois dans sa vie, peut-être même jamais. 


       Snape se rendit compte que sa «colocataire» était totalement frigorifiée. Le sang ne circulait presque plus dans ses doigts blancs et cela s'étendait presque aux paumes. Il savait quoi faire pour la réchauffer, il savait ce qui fonctionnait le mieux, mais il ne pouvait s'y résoudre. La seule source de chaleur à sa disposition était son propre corps —dont la température était déjà limitée— mais il n'était pas à l'aise avec ce genre de chose, toujours très distant, peu à l'aise avec le contact, et Narcissa n'en avait peut-être absolument pas envie. Il resta longuement à l'observer, hésitant. Ce fut finalement elle-même qui mit fin au débat interne de l'ex-mangemort. 


Narcissa émit un petit gémissement. 
« Narcissa ? l'appela Snape. 
Elle gémit de nouveau et sa respiration se tendit sous la douleur qui commençait à l'envahir. Elle haletait et gémissait sans même parvenir à ouvrir les yeux. Elle paniquait. Elle avait tellement mal qu'elle perdait tout repère, elle ne supportait pas cette souffrance qu'elle ne comprenait pas et qui l'empêchait de comprendre le reste. Snape connaissait cela. Il n'était pas très doué, mais il savait tout de même comment gérer une personne dans cet état, c'était monnaie courante chez les mangemorts, il n'avait pas eu d'autre choix que d'apprendre. 
—  Narcissa, écoute-moi. Tu es perdue, c'est normal, la douleur est si forte qu'elle te prive de toute réflexion. 
       Tout ce qu'il pouvait faire était lui parler. Il ne savait pas avoir de paroles réconfortantes, alors il lui expliquerait ce qu'elle traversait, il lui expliquerait que ça se finirait. Au début, elle ne comprendrait rien. Mais le son d'une voix qu'elle connaissait finirait par lui faire prendre conscience d'autre chose que cette souffrance, et elle pourrait alors entendre les mots prononcés et suivre la voix. 
—  Tu dois essayer de te concentrer sur ma voix. Il faut que tu m'entendes. Narci-... Cissy, c'est Severus qui te parle. Tu es allongée sur ton côté gauche, tu sens le sol ? Tu n'es pas toute seule, Cissy. 

Les loups ont des sentimentsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant