Chapitre 25: "Eh ben bon appétit à toi aussi !"

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        Il avait froid. Froid et mal. C'était tout ce dont il était conscient. Pourquoi ressentait-il cela, où exactement avait-il mal, il n'aurait su le dire. Il n'avait plus conscience de lui-même, il ne savait plus à quoi il ressemblait, il ne distinguait plus les différentes parties de son corps, il n'avait pas même la force de chercher à savoir si ses yeux étaient ouverts ou non. La seule chose qu'il connaissait était ce froid pénétrant, et cette douleur incessante. Depuis combien de temps était-il plongé dans ce monde vide, il ne savait pas non plus. 
Incapable de quoi que ce soit, il ne se souvenait plus de la sensation de ne pas avoir mal. Cela faisait si longtemps qu'il était plongé dans la souffrance qu'il ne connaissait plus que ça ; il lui semblait ne jamais rien avoir connu d'autre. Il avait oublié qu'il avait vécu avant de plonger dans cet état étrange, suspendu, sans début ni fin. Il n'était plus un corps solide constitué de matière, de chair, il était cet entremêlement de ces deux sensations si désagréables. Désagréables ? Ce mot n'avait-il pas un opposé auparavant ? Il ne s'en souvenait pas. 
Vidé de toute consistance physique, il avait plongé dans le néant. Ne comprenant plus le contact avec le réel, avec le sol, le mur, les vêtements, il n'était plus qu'un nuage inconsistant de douleur qui se mouvait sur lui-même, se rétractait douloureusement avant de s'étirer tout aussi douloureusement. Il n'était plus qu'une pluie glaciale, une pluie sans matière, sans eau, que l'on ne pouvait toucher, plus froide que la glace au coeur du plus froid des glaciers. Et le nuage et la pluie, dans leur inconsistance, se mêlaient sas jamais se toucher, mais jamais ne cédaient la place au soleil et au ciel bleu. 


       Snape entendit un cliquetis métallique. Ce bruit le ramena à la surface de cet océan sans eau et il put presque sentir de nouveau le monde physique autour de lui. Du moins distingua-t-il à travers ce qu'il crut se rappeler être des paupières une forme mouvante sur un fond grisâtre. La forme parla. 
—  Eh ben, il t'a pas raté, Eris. Va falloir qu'il se calme un peu si il veut pas casser notre joujou préféré. 
       Forcé de revenir à la réalité sinistrement matérielle, Snape sentait à présent le sol sous lui, presque aussi froid que l'intérieur de ses os. 
—  Aujourd'hui, c'est le grand festin ! T'as le droit à un morceau de courgette. Enfin bien sûr, c'est rien à côté de notre festin : c'est l'anniversaire de Kyle, alors on fait un grand repas. Ça va être délicieux. Si t'as de la chance, les effluves te parviendront et si tu les renifles assez fort avec ton gros pif, t'arriveras peut-être à en avoir le goût. 
C'était une voix de femme, une voix qu'il avait déjà entendue. 
—  Tu vois, pendant que toi tu mangeras tes vieux morceaux de racine froids, nous on sera en train de déguster un merveilleux foie gras sur du pain toasté, commença-t-elle à dérouler d'une voix ampoulée, avec un délicieux vin blanc de Saumur, suivi d'un magnifique boeuf Wellington avec des patates revenues dans du beurre et une sauce au porto. Ensuite, on passera au fromage, il y en aura plein de différents et on les mangera avec un superbe pain français, encore chaud et croustillant. Et, le meilleur pour la fin, une tarte poire, chocolat, frangipane et sa boule de glace à la vanille. Ça donne envie, hein ? Eh ben bon appétit à toi aussi ! 


       La porte se referma. Snape, regardant dans le vague, était troublé. Non, ça ne donnait pas envie. Ça ne donnait pas envie, parce qu'il n'avait rien compris. Pas un seul de ces mots ne faisait écho au moindre souvenir dans sa mémoire. Tout ce qu'elle avait dit n'avait fait qu'accentuer le vide en Snape. Lui qui aimait tant la bonne nourriture autrefois, n'avait pas compris un seul de ces mots. Il n'avait pas su mettre d'idée sur ce « festin », il n'associait à rien tout ce qu'elle avait dit. Pour lui, la nourriture était cette chose répugnante qu'on lui servait de temps en temps et qu'il engloutissait pourtant toujours goulument, n'ayant que faire de ce goût infecte qu'il ne sentait presque plus. 
       En fait, même ce terme « envie » ne lui évoquait qu'un très vague souvenir, quelque chose de lointain, comme s'il avait connu ce mot dans sa toute petite enfance et qu'il venait de remonter à la surface dans un rêve, mais qu'à son réveil, ce rêve lui avait échappé, et le souvenir avec, ne laissant derrière lui qu'une vague sensation troublée de ne pouvoir mettre le doigt dessus. 

Les loups ont des sentimentsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant