.Chapitre VII.☆

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J'ouvre doucement les yeux. 

Je n'ai aucune notion du temps, je ne sais pas si la matinée est déjà passée, peut-être même que la soirée est déjà entamée. Je mets du temps à me réveiller complètement. Je suis étendue sur le dos. 

Je me relève d'un coup. 

En face de moi, la porte est grande ouverte. Je n'ai aucun souvenir de quoi que ce soit. Je me sens fiévreuse. J'ai l'impression de ne m'être jamais réveillée de la nuit précédente. Je m'empresse d'enfiler mes bottes. 

C'est seulement au bout de plusieurs minutes, que je me rends compte que le toit de la cabine goutte sur le sol. Le tout forme une flaque d'eau. Elle traverse, à son tour, le sol de la cabine à travers les rainures du bois. Je prête peu à peu attention aux bruits assourdissants provenant du pont. Les hommes s'affairent rapidement au-dessus de moi. Le bruit du tonnerre et de la pluie battante se font retentissant. Je me précipite hors de la pièce, gravissant les escaliers quatre à quatre. Lorsque j'arrive au niveau du pont, je peine à ouvrir les yeux sous la pluie aveuglante de la tempête, dans laquelle le navire s'est engouffré. Je ne distingue que les formes des hommes sur le pont. 

Je ne sais pas où me mettre.

 Les vagues sont énormes et se fracassent avec une violence inouïe sur la coque du navire. Voyant qu'un des marin n'arrive pas à tirer seul sur sa corde, je cours vers lui afin de l'aider. Une fois la corde en main, mes pieds glissent sur le bois humide du pont et je peine, moi aussi, à tirer. Au bout d'interminables minutes, d'autres membres de l'équipage se joignent à nous. Nous parvenons tous ensemble à hisser le reste de la corde. L'un d'entre eux l'attache à un des trois mats et ils se hâtent à d'autres tâches. Il doit s'être écoulé une heure, ou deux avant que la tempête ne se calme. Je n'ai aucune notion de durée depuis mon réveil. La pluie s'est arrêtée petit à petit pour laisser seulement place à des vagues agitées et un ciel gris.
Beaucoup des marins ont commencé à s'asseoir sur des caisses en bois retournées qu'ils ont remontés des cales, les autres se sont assis par terre.
Je me suis assise avec eux. Ils ne m'avaient pas vraiment prêté attention, ce qui, je dois l'admettre m'a beaucoup rassuré. Certains commencèrent à boire du rhum tout doit sorti des caisses.
On commence doucement à distinguer à travers les épais nuages brumeux les faisceaux pâles de la lune. C'est peut-être une drôle d'impression, mais j'ai la sensation que celle-ci brille plus qu'à l'ordinaire. La soirée est douce. L'air est tiède et humide. Le vent transporte une odeur de mousse et de bois mouillé. Je me sens légère. Les marins commencent à débouchonner les eaux de vies. Des odeurs d'alcools forts s'émanent à chaque ouverture de bouteille. Je me contente de les observer, m'abstenant de tout faux pas.


- Dite Demoiselle, vous en voulez ? Peine à articuler un homme en me tendant sa flasque à moitié entamée.


- Non, merci. Refuse-je poliment à l'homme.


- M'dite pas qu'vous buvez pas ? Ricane-t-il.


Je m'efforce de sourire.


- Allez ! Rien qu'un p'tit peu ! Insiste-t-il lourdement.


- Non, vraiment, merci. Dis-je plus sèchement.


Il approche cette immondice encore plus près du visage.


- Dégage. Le coupe la voix de Cal.


L'homme blêmit et se retourne rapidement vers d'autres hommes, eux aussi déjà loin d'être sobre.


- Tu te sens mieux ? Me demande-t-il ensuite en s'asseyant près de moi.


- Oui, je te remercie. Réponds-je.


- Qu'est-ce qu'il t'es arrivée tout à l'heure ? M'interroge-t-il.


Je le regarde perplexe.


- Quand ça ? Le questionne-je.


- Ce matin, après qu'on ait parlé, tu avais l'air mal en point et William t'a ramené jusque dans ton lit. Il a passé la moitié de sa journée avec toi. J'ai craint qu'il ne te fasse du mal alors je suis passé te voir en milieu d'après-midi quand il s'est enfin décidé à sortir. Mais je n'ai pas pu rester longtemps. À cause de la tempête, je me suis hâté sur le pont et j'ai laissé la porte ouverte derrière moi. Je me suis beaucoup inquiété, tu sais. Alors, comment vas-tu ?


Je suis touchée par ce qu'il vient de me dire. Mais je n'ai aucune idée de la manière dont je me sens. J'ai l'impression de ne pas être dans un endroit réel. Comme si tout autour de moi était aussi brumeux qu'un rêve. J'ai la désagréable sensation de ne pas contrôler mes sens. Je suis comme désorientée. Je me dis que ça va passer, que je suis simplement fatiguée et que ça ira mieux demain. Je me mets à fixer la bouteille posée à côté de Cal. 

Et si ? 

Non, ce serait stupide. 

Mais, et si ? 

Qui pourrait m'en empêcher ?

 Personne ne me surveille ici. 

Je suis libre.

 
J'hésite encore, mais je me lance.


- Je vais vraiment mieux, je crois qu'il faut simplement que je m'acclimate. Confie-je.


- Je comprends. Tu as la vie pour t'habituer à l'océan. M'avoue-t-il en souriant.


Je réfléchis un court instant.


- C'est quoi qu'il y a dans la bouteille à côté de toi ? Demande-je, en pointant du doigt une bouteille d'alcool fort, posée à sa droite.


Il hausse les sourcils surpris, attrape la bouteille, en prend une gorgée, secoue la tête.


- Je n'en sais rien, mais ce n'est pas de l'eau si tu veux tout savoir. Rigole-t-il.


- Passe-la-moi. Dis-je.

Il rit,

me regarde,

s'arrête de rire.


- Attends. Quoi ? Demande-t-il incrédule.


- Passe-la-moi, s'il te plaît. Ordonne-je plus sèchement.


- En es-tu bien certaine ? M'interroge-t-il complètement ahuri.


- Oui. Donne-la-moi. Le coupe-je.


Il me tend la bouteille dont je me saisis rapidement. Je la renifle un coup. Cette immondice me semble imbuvable. Je coupe ma respiration et je porte le goulot à mes lèvres. J'en avale une gorgée, puis deux, puis trois, avant d'en avoir instantanément la nausée. Je pose violemment la bouteille sur le sol. Je porte une main à ma bouche et cours me pencher face à l'océan. Cal me suit en courant et m'aide à ne pas tomber à l'eau. Mon estomac vide n'a pas supporté le liquide fort. En me relevant, je me sens tournée, alors je me rattrape à la rambarde de bois et l'épaule de Cal. Quand je commence à me sentir plus stable, je tente de marcher à nouveau.


- Ça va ? S'inquiète-t-il.


- Ça va. Réponds-je.


Je m'avance et me saisis rapidement de la bouteille à l'endroit où je l'avais laissé posée. J'en avale beaucoup plus de gorgées. 

Je n'ai pas compté cette fois-ci. 

Je me sens partir dans le vague. La fatigue m'envahit et un mélange de beaucoup trop d'autres éléments extérieurs que je ne maîtrise pas. Alors je me laisse aller, je m'allonge sur le pont, au milieu des hommes aussi ivres d'alcool que mon père de richesse. 

J'entends les chants des marins joyeux et la voix de quelqu'un qui rit près de moi. 

Le bruit des vagues. 

Le léger balancement du navire.

Le vent qui me caresse les joues. 


Et puis plus rien. 

Le SempiternelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant