.Chapitre V. ☆

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Le capitaine, furieux de ce que je viens de lui faire subir devant témoin, s'approche de moi avant de prononcer ces derniers mots.

- Je veillerai personnellement à ce que vous descendiez à la prochaine escale, tâchez de survivre d'ici là.

Puis il a fermé sèchement la porte de sa cabine. Will me regarde de ses beaux yeux verts, il semble déconcerté par la scène à laquelle il vient d'assister. Après un court instant, il s'approche doucement de moi.

- Que s'est-il passé ? Me demande-t-il.

Je ne sais pas vraiment quoi lui répondre, alors, je lui dis simplement :

- Il ne s'est rien passé de plus qu'une petite discussion armée.

- « Armée » ? Demoiselle, ce sont des meurtriers, des sanguinaires, des durs, des êtres ayant vu tellement de sang couler que plus rien ne peut salir leurs yeux. Ils se rattachent chaque jour qui passe avec véhémence à l'espoir de retrouver cette époque où ils ressentaient encore des émotions stables, ou même des émotions tout court pour les plus anciens. Il me semble vous avoir prévenu. Je ne pourrais pas assurer toujours vos arrières alors tâchez de survivre comme l'a si justement dit le capitaine. Répond-il sérieusement.

Je le regarde droit dans les yeux, réalisant enfin l'ampleur de sa mise en garde. Je connais seulement les bases rudimentaires du combat rapproché. Il allait falloir que je m'entraîne bien plus si je voulais m'en sortir. Je réalise autre chose, ma lutte perpétuelle sur ce navire allée perdurer au-delà de celui-ci. Pourquoi ? Me demanderez-vous ; simplement parce que je venais de réaliser que j'étais une femme et eux des hommes.
Pendant que je songe, Will, lui, est déjà en train de s'affairer à lever l'ancre et hisser les voiles afin de partir le plus vite possible. Je décide donc de mettre ma réflexion de côté et d'aller l'aider.

- Vous vous appelez Will, c'est bien ça ? Demande-je d'abord en faisant exprès de paraître hésitante.

- C'est bien cela Demoiselle, et vous ? Me demande-t-il à son tour, sans un regard, trop occupé à hisser une voile.

- Jeanne. Dis-je en appliquant le conseil du Capitaine. Le chef de ce navire serait donc le seul à savoir qui je suis.

Il acquiesce, tout en continuant de sécuriser la corde permettant de hisser la grand-voile. Le regardant travailler seul, je me décide enfin, à moi aussi, me mettre à l'œuvre. Je saisis une corde afin de la sécuriser. Le problème étant, que je n'ai pas prêté attention à un détail. Quel était ce détail ? Mon pied gauche s'est pris dans la corde et lorsque j'ai tiré sur celle-ci, j'ai tout simplement été victime d'une chute absolument mémorable. Celle-ci a débuté par une roulade sur le pont, de plus comme le navire commence à avancer, il tangue légèrement augmentant l'ampleur de ma roulade. Mais comme si le destin s'acharnait sur cette journée, il y'eu une vague tellement violente ou moment de ma cascade que j'ai tout simplement été projetée au-dessus d'une des cales, coinçant par un même geste mon pied droit, cette fois-ci, dans la grille de la cale. Will a tout vu, et après un court instant de réalisation, devant mon regard dépité, il éclate de rire.

- Et bien moi qui pensais que les légendes racontant qu'une femme à bord portait malchance étaient fausses ! Dit-il entre deux rires.

En voyant mon visage profondément exaspéré, il part dans un fou rire des plus incontrôlable, me laissant toujours avec mon pied coincé.

- Dites, vous pourriez m'aider ? Demande-je agacée.

- J'arrive, j'arrive. Dit-il toujours autant amusé.

Il s'approche de moi et commence à défaire les lacets des bottes qu'il m'a donné à peine une demi-heure plus tôt, afin de décoincer mon pied. Voyant que je le fixe du regard, il tourne les yeux vers moi avant de me dire :


- Vous savez demoiselle, cela fait à peine une heure que vous êtes ici, et vous avez failli y passer trois fois.

Trois fois ? Une fois oui, à cause du Capitaine, deux fois avec mon pied coincé. Mais quelle était la troisième ? Je suis partie dans une nouvelle réflexion. Cette journée s'était révélée étrange. J'avais failli me marier, j'avais poignardé mon fiancé, j'étais recherchée dans toute ma ville natale, j'avais tué un homme de sang-froid, j'avais failli embrasser, puis j'avais menacé le capitaine d'un vaisseau pirate, et voilà qu'à présent, je venais de faire une chute, qui j'en suis certaine devait être mémorable. Bon, j'espère survivre au moins encore quelques heures de plus.

Lorsque Will finit de retirer ma botte, mon pied réussit à sortir de celle-ci, et je me suis enfin décoincée.

La nuit est belle et la lune est maintenant haute dans le ciel. Les voiles sont toutes hissées, faisant s'engouffrer le vent avec fracas, menant le navire et mon destin à travers les flots.
Tout se déroule au mieux à présent, le pire de cette journée est derrière moi. Je me suis posée sur le pont. Là, assise en tailleur, j'observe en silence les constellations comme si plus rien n'avait d'importance. Le sommeil commençant à me gagner, je décide de me tourner vers Will. Il s'était allongé à côté de moi, pour lui aussi regarder le ciel. Nous n'avons pas décroché un mot depuis l'instant où il m'a décoincé de la calle. Je l'observe de temps à autre du coin de l'œil sans vraiment savoir quoi lui dire. Alors je me tais et lui aussi. C'est beau le silence. Surtout quand ce silence en dit bien plus que de simples mots. Ni lui ni moi n'avons envie de le briser ou même d'interrompre cet instant où nous apprenons à nous connaître par la simple proximité de l'autre. C'était peut-être rapide, mais j'ai l'impression de beaucoup tenir à cet homme. Comme si un lien invisible me lie à lui depuis mon arrivée imprévue à bord.

Je ne sais pas ce que lui pense de son côté. J'aimerais être dans sa tête. J'aimerais qu'il se dise la même chose que moi ce moment. Je crois que j'aimerais que pour lui aussi ce silence ne soit pas qu'un simple et bête silence comme il y en a toujours.

Il a vu que je le regardais.

J'ai rapidement tourné la tête.

- Où pourrais-je dormir cette nuit ? Je demande, comme pour justifier ce pourquoi je le regardais.

Il se tourne vers moi et semble prendre un court instant pour sortir de ses pensées. Je le sais parce qu'il cligne des yeux cinq fois rapidement avant de me répondre.

- Je n'y avais pas encore réfléchi. Mais suivez-moi. S'empresse-t-il de me dire.

Il se lève rapidement et me fait signe de le suivre, ce que je fais. Il me fait descendre des grands escaliers en bois, m'amenant jusqu'à une pièce située sous la poupe, il ouvre la porte grâce à une clé avant de me faire entrer et de me dire :

- Bienvenue dans mon humble demeure Demoiselle Jeanne, ce n'est pas très luxueux, je vous l'accorde, cependant, on y dort bien. De plus, vous serez à l'abri de l'équipage et des regards indiscrets.

Il me tend ensuite la clé. La pièce était assez petite, il n'y a dans celle-ci qu'une simple commode de bois et un petit lit aux draps blanc impeccables, couverts d'un édredon rouge sang. Après avoir balayé du regard la petite cabine, je saisis doucement la clé que Will me tend.

- Mais, et vous ? Dis-je. Où allez-vous dormir ?

- Ne vous en faites pas, je ne suis pas fatigué. Sur ce, je vous laisse très chère, j'ai le navire à diriger à travers les vagues. Répond-il.

- Bonne nuit. Et merci. Lui dis-je.

- Bonne nuit Jeanne. Dit-il avant de partir, en prenant soin de bien refermer la porte derrière lui.

Je m'empresse, dès son départ, de verrouiller la porte à double de tour. J'enlève mes bottes, je tresse mes cheveux mis en désordre par le vent du pont et ma journée peu reposante et je m'allonge sur le petit lit.

Je fixe le plafond une bonne dizaine de minutes, ressassant les derniers événements qui venaient de changer l'intégralité de ma simple existence pour toujours. J'aurais cru m'endormir bien moins rapidement, mais visiblement, j'étais bien trop fatiguée pour continuer à réfléchir, alors je me suis endormie.

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