Les Enfants de la Faucheuse

Instantanés : 21 - Les morts ne parlent pas

Ce cliché est un polaroid, au dos il n'y a pas de date mais quelques mots griffonnés. On reconnaît l'écriture de Matthew « Well done, Tiny Bird ».

Je ne sais pas comment Pitt a réussi à récupérer cette photo, mais je me souviens exactement de ce qui s'était passé. Je sais aussi qu'elle n'aurait jamais dû quitter son propriétaire, sauf si Pitt a trouvé un moyen de faire pression sur ce fils de pute.

Il y avait un petit garage à quoi, trois pâtés de maison de notre MC . Il était à l'abandon depuis plusieurs années quand on a vu un gros camion se garer devant un matin. Plusieurs gars en sont sortis. Il y avait des jeunes et des vieux, des gros, des petits, des...bref tu l'auras compris, y'avait de tout.

Ils portaient des cuirs, ce qui nous a tous poussé à observer attentivement ce qu'ils foutaient. C'était pas notre quartier, mais c'était suffisamment proche pour qu'on s'y intéresse, surtout s'il s'agissait d'un club.

Un de leurs gars est rentré en contact avec le secrétaire du club, ils voulaient un rendez-vous officiel, histoire de faire les choses bien. La date a été fixée et plusieurs d'entre nous s'y sont rendus.

Les types se sont présentés, le MC des Black Angels, leur chapter mère était basé à Détroit et ils avaient été envoyés ici pour y monter leur club et y établir des contacts dans différents business. Ils étaient donc venus se présenter à nous, c'était l'usage, ils se présenteraient sans doute aux Pesadillos également.

Leurs business, c'était principalement l'herbe en très grosse quantité, qu'ils refilaient aux gangs ensuite, les putes, et l'extorsion. Rien de bien nouveau sous le soleil de San Francisco. Notre Président n'était pas venu au rendez-vous, il t'avait laissé gérer ça à sa place, de son côté il avait plus important à faire. Sur le coup, ça m'avait paru un peu étrange, parce que Matthew adorait se pavaner devant ceux qui arrivaient en ville, les menacer, montrer comme les Enfants de la Faucheuse pouvaient frapper vite et fort, et cette fois il se privait de son petit plaisir.

Ils nous avaient ensuite assurés que le garage allait être restauré pour leurs bécanes mais qu'ils ne comptaient pas ouvrir de commerce dans un premier temps. Il fallait d'abord qu'ils s'implantent et s'ils aimaient, comme la majorité d'entre nous, bichonner leurs motos eux-mêmes, ils parlaient davantage de salon de tatouage. Plusieurs d'entre eux étaient même très enthousiastes à ce sujet.

A la fin du rendez-vous, tout le monde s'est serré la main. On attendrait de voir la suite, s'ils allaient être alliés, ennemis, ou simples pigeons qui se feraient plumer par le club.

Ils n'avaient pas menti concernant le garage. Ils s'en servaient pour leur MC mais rapidement la devanture a été refaite puis une enseigne est venue s'y greffer. L'Angel's Tattoo était devenu rapidement Le lieu où se faire tatouer.

En à peine six mois, leur club avait réussi à se faire un nom. Nos relations étaient assez cordiales mais je me souviens que Matthew continuait à refuser de participer aux rendez-vous avec eux. Il avait toujours autre chose de prévu.

Un jour il m'a appelée à la salle de la table, seule. J'ai soupiré avant de m'y rendre. J'en avais marre de ses avances, j'en avais marre de l'envoyer chier et je devenais de moins en moins patiente, tout en sachant pertinemment que le jour où je lui manquerai trop de respect, il me ferait taire une fois pour toute.

Cette fois pourtant, il ne m'a pas servi un de ses discours de macho possessif de merde. Il avait l'air vraiment inquiet quand il m'a invitée à m'asseoir.

S'il n'était pas venu aux rendez-vous avec nos nouveaux voisins c'est parce qu'il menait sa petite enquête. Il avait découvert que ces types mentaient sur toute la ligne. Ils avaient connu Pitt à l'époque, et elle était longue, où il avait été Nomade.

Ces types connaissaient plusieurs crimes qui étaient reprochés à Owen, ils avaient accumulé les preuves pour le faire tomber. C'était un groupe de chasseurs de primes qui utilisait de faux cuirs pour se faire passer pour ce qu'ils n'étaient pas. Le Président avait pris contact avec la maison mère de Détroit et personne n'avait été envoyé ici.

J'ai dit à Matthew qu'il fallait avertir Pitt immédiatement mais il a refusé. Pitt se faisait vieux, il était têtu, il risquait de vouloir partir en vendetta personnelle et de se foutre encore plus dans la merde. Matt avait essayé de les isoler au maximum de leurs sources mais il avait peur qu'ils finissent par refermer le filet sur le club et à chopper Pitt. Il ne savait pas comment le tirer de cette merde.

-Tu comprends Tiny Bird, si j'y vais de front, les flics vont s'en mêler, creuser et arriver à lui.

-Y'a forcément un truc à faire.

-J'aurais pu essayer de monter les Pesadillos contre eux, mais t'as foutu la merde en ouvrant leur sergent d'armes en deux...là je vois pas. Faudrait un miracle ! Faudrait qu'ils disparaissent d'un coup, pfuit, qu'ils partent en fumée, comme par magie.

Je me suis pris la tête entre les mains, c'était vraiment la merde. Matthew m'a laissée réfléchir un moment et puis il m'a dit qu'on verrait si on pouvait acheter la protection de Pitt en taule, même si c'était pas gagné, il ferait jouer ses contacts. Il m'a tapé sur l'épaule et il est sorti.

Dans ma tête, ça tournait en boucle...ces mecs devaient disparaître...partir en fumée. Un accident ?

Je me suis levée d'un bond, j'ai pris un bidon d'essence et je me suis mise en route. Il faisait déjà nuit noire et tout était silencieux quand je suis arrivée devant le salon de tatouage. J'ai forcé la serrure, c'était un truc que je maîtrisais. Une fois à l'intérieur, j'ai fait le tour du bâtiment pour bloquer la sortie arrière avec une grosse barre de fer. J'ai commencé à déverser l'essence un peu partout, jusqu'à la porte par laquelle j'étais entrée. J'ai allumé mon briquet et je l'ai jeté à l'intérieur.

Ça s'est embrasé extrêmement vite, bien plus que je ne m'y étais attendue. J'ai reculé dans la rue, une main prête à dégainer si jamais je voyais quelqu'un essayer de fuir le brasier.

J'ai entendu des cris, qui se sont transformés en hurlements atroces. Des gens commençaient à se réveiller dans le quartier. J'ai retiré mon cuir pour le retourner sur mon dos, qu'on ne voie pas ma faucheuse, et j'ai couvert mon visage avec mon bandana. Quand le brasier a grimpé haut dans le ciel, j'ai levé le poing devant moi.

-Personne ne touche à Pitt, fils de putes !

C'est là que je l'ai entendu rire. Je me suis retournée. Matthew était là, il agitait quelque chose dans sa main gantée. La photo qu'il venait de prendre.

-Bien joué Tiny Bird. Isaac a raison, tu réfléchis pas, tu resteras toujours une putain de tête brûlée.

Il a mis les mains dans ses poches avec la photo, et il est reparti tranquillement. Je me suis cassée vite fait de là, je voulais pas avoir les flics au cul, et je comprenais pas ce qui l'avait tant fait marrer.

Ce n'est que des mois plus tard que j'ai appris la vérité. Ces mecs venaient bien de Détroit, ils n'avaient pas menti. Mais parmi eux se trouvait un certain Cody, le petit frère de Matthew.

Cet enfoiré s'était débarrassé de son frangin en me faisant faire le sale boulot à sa place et il me tenait avec sa photo. Il m'avait menacée de l'envoyer à Détroit dans un joli paquet avec toutes les instructions pour me retrouver si jamais j'ouvrais ma gueule.

Ce mec est un putain de cinglé, mais il me tenait. Il a même ajouté les mots au dos de la photo devant moi, juste pour bien me montrer sa pseudo puissance. Cet enfoiré était si fier de lui. Je me demande vraiment comment Pitt a pu la récupérer et surtout comment il a su qu'elle existait, parce que je n'en ai jamais parlé à personne.