La pluie s'écrase, lentement, sur les carreaux de l'ancien bureau. Le front contre la vitre, les bras ballants, le regard vide, elle semble si loin de son propre corps.
À ses pieds, un pot de peinture ouvert attend qu'on se souvienne qu'il existe...
Les habitants de la maison ont dû se résoudre au fait qu'Abbie restera Abbie et qu'elle continue à se battre contre les codes. Elle refuse toute aide concernant sa maternité, les cours, les soins, les conseils, elle repousse tout cela avec brutalité.
La jeune femme a exigé de se charger de l'aménagement de la chambre de son fils seule. La seule concession qu'elle a bien voulu faire concerne la mise en place des meubles. Pour tout le reste, elle s'agite, peint, décore, commande, renvoie, change d'avis, et s'affaire de l'aube jusque tard dans la nuit.
Elle a toujours le front collé à la vitre, elle écoute la pluie tapoter le verre glacé. Si elle a choisi de faire ça seule c'est pour matérialiser la solitude qui la broie, la faire sortir de son être, la voir en face et la combattre, au moins un tout petit peu. Visualiser ce que sera l'avenir, leur avenir, à elle et au petit.
Le linge est prêt, même le petit lit est fait, il n'attend plus que son futur habitant. Toute la chambre est dans des tons pastels très doux, avec, de ci de là, de petits cadres colorés aux motifs enfantins. La dernière touche, c'était cette peinture. Pourquoi ?
Abbie avait décidé, au dernier moment, de dessiner quelques motifs au pochoir sur les murs, autour du berceau. Il a suffi de commencer pour qu'elle se souvienne.
Lui.
Assis sous le porche, des heures durant avec son carnet à croquis.
Lui.
Qui l'a emmenée en moto quand elle n'en pouvait plus, quand elle avait appris la mort de sa mère. Lui qui l'a emmenée loin, si loin, et l'a bercée dans ses bras alors qu'elle sanglotait en le regardant dessiner.
Lui.
Qui aurait dû l'aider à décorer cette chambre. Il aurait sans doute fait de magnifiques dessins pour égayer l'endroit qui lui semble soudain si morne, si terne.
Lui.
Comme souvent quand elle est dans cette pièce, Abigail va verrouiller la porte. Qu'importe que l'on la croie endormie ou en train de travailler, elle veut juste...que veut-elle au juste ? Elle n'en sait rien, elle ne sait plus.
Les pochoirs et la peinture sont rangés dans un carton, ce même carton qui contient tout un tas de petites choses qui n'ont l'air de rien mais qui lui broient le cœur chaque fois qu'elle les regarde. Elle y prend le grand t-shirt qu'elle a fourré dans son sac la nuit de leur départ. Il a encore son odeur. Elle enfouit son nez dedans et se laisse glisser le long du mur.
Les genoux remontés sous son menton, le t-shirt serré à deux mains contre son visage, Abigail hurle sa douleur dans l'étoffe, sans un bruit, sans que personne ne puisse deviner la souffrance qui la cloue au sol. Dans son ventre, le petit être s'agite, se débat, presse ses mains contre la paroi, il cherche un contact avec sa mère, cette mère qui s'effondre, seule, dans la chambre d'enfant.
Muette. Elle s'écroule intérieurement dans un silence pesant alors que l'enfant s'agite en elle, encore et encore.
Mais Abigail se noie dans le manque de l'autre, elle s'y perd si fort que le monde autour d'elle n'existe plus. Jusqu'à ce coup de pied brutal dans ses entrailles. Elle pose la main à l'endroit où le petit pied a poussé fort, si fort, pour lui rappeler qu'elle n'était pas seule.
Alors, elle se redresse et range le vêtement dans la boîte, avec le reste. Et sur la petite table de chevet, près du berceau, elle installe la dernière touche à la chambre, une photographie d'Isaac tenant une Abbie rayonnante par la taille, tous deux adossés contre une moto.
La jeune femme sèche ses larmes, murée dans le silence, elle se glisse toute habillée dans son lit et laisse le sommeil l'emporter, comme trop souvent, ces derniers jours.
VOUS LISEZ
Les Enfants de la Faucheuse
Ficção GeralAbigail Ashton est née dans une famille unie et aisée, mais son caractère buté, son amour de la liberté la poussent à toujours repousser les limites. Elle croise la route des Enfants de la Faucheuse, un groupe de bikers anticonformistes. Dangereux...