Exil : 19 - Émerveillée

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306, Cleveland Avenue, Murdo, Dakota Sud.

Le voisinage a fini par s'habituer au couple formé par Isaac et Abigail.

Miss Rimsy surtout, elle adore traîner près de chez eux parce que ces deux forts caractères n'hésitent jamais à lever la voix, et pour la commère, c'est une source d'information appréciable.

Ainsi elle a pu apprendre qu'il y avait des tensions dans la famille, un frère de la jeune femme, ou de l'homme, elle n'a pas tout compris aurait trahi une parole ou quelque chose du genre. Et si au début le couple se hurlait dessus à ce sujet, il semblerait qu'ils aient fini par tomber d'accord car plus aucune dispute n'a semblé être à ce propos.

Bien entendu, la vieille dame a souvent rougi également, car ces deux-là, lorsqu'ils montent la voix, finissent souvent par se réconcilier de façon tout aussi bruyante et plus qu'équivoque. Miss Rimsy ne compte plus les fois où elle a entendu la jeune femme crier, à vrai dire, elle a même failli appeler la police une fois.

Elle avait entendu la voix de la femme qui hurlait « Non, Isaac arrête, pitié » mais le temps qu'elle parvienne à attraper ce petit appareil que son neveu lui a offert et qui lui sert désormais de téléphone, un grondement sourd a raisonné dans la maison, suivi d'un grand cri de femme. La vieille dame, les yeux écarquillés, a bien cru qu'il était en train de battre à mort la malheureuse, jusqu'à ce qu'elle comprenne qu'il ne s'agissait pas de cris de souffrance mais bien d'autre chose.

Alors, choquée, offusquée même, la vieille Miss Rimsy est rentrée chez elle aussi vite que ses jambes le lui permettaient, non sans faire un détour par chez une voisine pour lui raconter le comportement indécent du jeune couple.

Dans la maison, le couple a trouvé son rythme et s'est forgé d'autres repères. Isaac quitte souvent la demeure, enfourchant une énorme moto dont il a un soin farouche, sa Softail Deluxe est entretenue avec maniaquerie avant et après chaque sortie, et lorsqu'elle est suffisamment en forme, Abbie vient prêter main forte à son homme pour bichonner la bécane.

Nul n'aurait à l'idée de suivre Isaac lorsqu'il se met en chemin, il rentre souvent avec un sac ou un paquet qu'il surveille farouchement. Parfois il rentre blessé, et dans ces cas-là on peut voir Abbie se précipiter dehors pour soutenir son homme jusqu'à la maison. Il n'y a jamais de dispute les soirs où il rentre mal en point. Si le voisinage ne peut que faire de vagues suppositions, ils sont loin d'imaginer tout ce qui se passe quasiment sous leurs yeux.

Isaac a repris quelques contacts, triés sur le volet, et il n'hésite pas à prendre des risques pour mettre sa famille à l'abri du besoin pour longtemps. Si, dans un premier temps, Abigail lui a fait des scènes mémorables, elle a fini par se ranger à ce qu'il avait décidé pour eux.

Elle avait compris que rien ni personne ne mettrait fin à la soif de liberté et d'adrénaline d'Isaac, tout comme lui n'avait jamais cherché à lui couper les ailes, elle avait appris à lui faire une confiance aveugle.

Elle se contentait d'être présente pour lui quand il rentrait amoché, elle l'écoutait parler des affaires qui reprenaient et veillait à être le soutien et l'épaule dont il avait besoin, tout autant qu'il l'était pour elle.

De son côté, la jeune femme s'épanouissait dans sa grossesse et dans son rôle de compagne attentive. Bien entendu, elle restait une Fille de la Faucheuse, le goût du sang coulait dans ses veines et elle mourrait parfois d'envie de rejoindre son homme dans les affaires. Mais porter la vie en elle la poussait à se tempérer, et, sereine auprès d'Isaac, elle y parvenait enfin. On la voyait souvent, rayonnante, se promener à petits pas dans la rue, une main sur son ventre proéminent, l'autre calée sur sa hanche pour tenter de conserver un équilibre précaire.

Les Enfants de la FaucheuseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant