Exil : 10 - Méfiante

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L'incarcération dans le cadre de la protection de témoin, bien que de moins en moins utilisée, reste cependant courante aux États Unis. Ce genre de placement sous protection est extrêmement difficile pour ceux qui en bénéficient, outre le fait de se retrouver emprisonné, leur statut particulier leur empêche tout contact téléphonique ou visite de leurs proches. Abigail Ashton n'a donc, à aucun moment, réclamé de pouvoir avoir un accès au téléphone puisque l'agent Wyatts lui a dit qu'elle l'avait faite placer en cellule sous prétexte d'une protection de témoin. Ce qui explique également qu'Abigail n'ait eu aucun contact avec un quelconque avocat.

Vu la grossesse avancée d'Abigail, ses sorties en plein air se font avec une seule autre détenue, Rachel, incarcérée ici depuis plus de dix ans et se trouvant dans l'aile protégée depuis 6 parce qu'elle a balancé son ancien gang. Abbie n'apprécie pas de devoir passer ces moments avec elle. La jeune femme méprise ouvertement la balance qu'on lui a assignée comme compagnie et ne se prive pas de lui rappeler que si elles étaient dans la rue, elle lui aurait déjà fait la peau.

Cependant, quand Rachel s'est plaint aux gardiens et que ceux-ci lui ont signalé que si c'était l'un d'eux qui devait l'accompagner dans la minuscule cour de promenade de l'aile, Abbie sortirait une seule fois par jour au lieu des trois fois actuelles, la jeune femme s'est légèrement adoucie. Au lieu de menacer Rachel de lui faire la peau dès qu'elles se croiseront dehors, elle se contente de supporter sa présence en lui rappelant qu'elle restera une snitch (balance) à ses yeux ou de lui taxer tout ce qu'elle peut. C'est de cette façon qu'elle a obtenu un cahier et un stylo. N'ayant pas d'emploi à la prison ni de proches pour lui envoyer de l'argent, c'est Rachel qui est devenue sa banque sur pattes.

Ce cahier est important pour Abbie, assise à la petite table métallique, chaque jour, elle écrit une demi-heure dans ce cahier qu'elle ne quitte jamais.

Les premières lignes inscrites sur ce cahier sont les suivantes :

« Pour Isaac Junior Mosley,

Fils chéri par tes parents,

Que ces lignes constituent, si tu en as un jour besoin, le témoignage de l'amour que nous avons pour toi.

Si la vie nous sépare malgré nos efforts, sache que tu as été désiré, aimé, plus que n'importe quel enfant au monde.

Tu es notre lumière et notre avenir, nous ferons tout pour te retrouver et te ramener auprès de nous.

Ton père Isaac Mosley , et ta mère Abigail Ashton t'aiment.

Nous nous battrons jusqu'à notre dernier souffle pour que tu sois auprès de ta vraie famille mon ange. »

Pour la suite, elle explique tant bien que mal la situation à ce fils en devenir, tout en lui parlant, la main posée sur son ventre. Souvent, les gardiens remarquent les larmes de la fille de la Faucheuse, mais soit parce qu'ils respectent sa peine, soit parce qu'ils s'en foutent, ou encore parce qu'Abbie peut devenir vraiment flippante quand elle le décide, aucun ne lui en a jamais parlé.

C'est alors qu'elle referme le cahier que la porte de sa cellule s'ouvre, lui tirant un grondement indigné.

-C'est pas l'heure de la promenade et j'ai déjà vu le doc hier.

-T'as de la visite Ashton.

-Fais chier, elle me veut quoi cette conne ?

Le gardien hausse les épaules et sa collègue procède à la fouille d'Abigail avant de l'escorter jusqu'à la petite pièce aveugle où elle avait déjà vu Wyatts à son arrivée.

En s'asseyant, la jeune femme adresse son plus beau sourire ainsi qu'un doigt d'honneur à la caméra située dans le coin de la pièce. La porte s'ouvre et la mâchoire d'Abbie semble toute prête à se décrocher devant la jeune blonde qui entre timidement dans les lieux.

-Merde !

-Marr...

-Madame Ashton pour toi, c'est le club qui t'envoie ?

Les traits et la voix d'Abigail se sont durcis brutalement alors qu'elle fixe une Rosie totalement désemparée. Elle ouvre son cahier et déchire une page où elle écrit « Caméra, sans doute micros, joue le jeu ma puce. Je t'aime ! » Elle lui tend le papier :

-Voilà l'adresse où je logeais, tu pourras dire au club que j'ai rien gardé, j'ai plus aucun contact avec personne, je suis rangée.

Rosie s'assied et lit le document avant de hocher la tête. Elle approche un peu son visage de la table et murmure.

-Pas de micros, juste des caméras, j'ai piraté leurs systèmes.

-Tu as... -Abbie doit se reprendre pour ne pas hurler – tu es folle ? Et s'ils remontent jusqu'à toi ?

-Aucun danger, je sais ce que je fais. Pourquoi t'as prévenu personne ?

-Je suis ici à cause de cette pute de l'ATF, protection de témoin, mon cul ! Elle voulait un moyen de pression sur Isaac, tu dois le prévenir Rosie.

-J'ai piraté ton dossier marraine, t'es pas là pour protection de témoin.

-Que...Quoi ?

-Tu vas passer devant un tribunal, t'es accusée de quatre meurtres !

-Mais j'ai tué personne, enfin...pas dans cet état

Abigail réfléchit et secoue la tête.

-Nan j'ai tué personne par ici, qui ils m'accusent d'avoir buté ?

-Promets-moi de pas te fâcher.

-Accouches Rosie.

-Ils t'accusent du meurtre de tes parents, de ton frère et de sa femme.

-Oh la sale pute !

Abigail a littéralement hurlé en se relevant de sa chaise, les poings serrés elle gronde.

-Je vais tuer cette sale pute, je vais la saigner mais avant je vais lui faire mal, elle va hurler si fort que ses cordes vocales vont péter ! Bordel, putain de bordel de merde !

La chaise semble avoir de la chance d'être fixée au sol car Abbie, dans un accès de rage a essayé de la soulever, sans succès, sinon elle aurait sans doute fini dans le mur.

Un gardien attiré par le bruit entre et demande à Rosalind :

-Tout va bien mademoiselle ?

-Mais fermes ta gueule toi, tires toi connard !

-Abbie...

-Quoi Abbie ? T'as vu la tête de ce trou du cul ? Il va faire quoi hein ?

-Ashton je te conseille de te calmer si tu veux pas finir au trou.

-Ouais ouais, je t'emmerde !

Malgré tout, Abigail se rassied, mais le gardien en profite pour signaler que la visite est terminée. Rosie est invitée à sortir. Elle approche d'Abbie qui secoue la tête et lui serre la main en murmurant :

-Ils savent pas qui tu es, si l'autre pute apprend qu'on est proches elle s'en prendra à toi. Sois prudente ma puce.

-Je reviendrai.

Les deux femmes échangent un regard chargé d'émotions et Abigail est laissée seule dans la pièce où, dès que la porte se referme, elle se remet à balancer une flopée d'injures et de menaces à l'égard de Wyatts. Le gardien appellera du renfort pour la ramener à sa cellule, craignant un mouvement d'humeur de la détenue. Elle n'opposera cependant aucune résistance pour être raccompagnée à sa cellule et signera sans faire d'histoires le document lui signifiant une sanction disciplinaire « deux jours sans visite » pour les insultes au gardien.

Cette nuit-là, Abbie réfléchira longuement, si elle est prête à endosser le meurtre de son père, elle refuse d'être accusée de ceux des trois autres, il va lui falloir de l'aide...

Les Enfants de la FaucheuseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant