Instantanés : 26 - Danser avec la Faucheuse

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Le cliché semble étrange au toucher, en y regardant bien, le papier est plus épais que celui d'une photographie traditionnelle et si on prend le temps de le retourner il s'agit d'une carte postale de San Bruno Mountain State & County Park. Rien n'a jamais été écrit au dos.

Tu te demandes sans doute ce que c'est que ce cliché hein

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Tu te demandes sans doute ce que c'est que ce cliché hein. Sois attentif aux moindre détails, il n'y a pas un truc qui te mets sur une piste ? L'endroit où était vendu cette carte se trouvait sur la 101 qui allait de San Francisco Centre à Brisbane, il suffisait de continuer un peu pour arriver à San Bruno et ses paysages à couper le souffle.

Mais je te souhaite bien du courage si tu veux y trouver un arbre plus haut qu'un buisson, alors une de ces grosses bestioles, je crois pas. N'empêche qu'ils vendaient ces cartes postales et j'en ai ramené une avec moi, c'était une sorte de rappel à moi-même je crois. Pour que je me souvienne que j'avais failli ne jamais revenir de cette ballade ou simplement pour me souvenir que c'est là-bas que j'ai appris à danser avec la Faucheuse.

Mais je reviens au début de mon histoire.


Je devais apprendre à canaliser ma colère parce que ça devenait de plus en plus hard entre Matthew et moi. Je le détestais de toutes les fibres de mon être et plus je grimpais en violence plus sa réponse l'était aussi.

Je savais qu'un jour il ne retiendrait plus ses coups et que je risquais de ne pas m'en relever.

Si j'avais réussi à remonter la pente une première fois dans ma vie en usant de procédés extrêmes, j'avais l'impression de sombrer dans une spirale infernale depuis que j'étais rentrée de mon « escapade » en tant que Nomade.

Mes missions suicides devenaient de plus en plus périlleuses, je cherchais à me faire attraper, je cherchais à me faire tuer. Chaque fois que je ne pouvais plus contenir ma rage ou mes larmes, j'enfourchais ma bécane et je partais à la recherche de ceux qui faisaient du tort au club.

Je ne prenais même plus la peine de me calibrer. Je trouvais qu'avec une arme à feu il n'y avait aucun défi.

Plusieurs fois, j'ai cru que j'allais crever, et plusieurs fois, la chance ou la folie m'ont sauvé les fesses. Bien entendu, je ne partais pas totalement désarmée, j'avais toujours mon couteau avec moi et si les armes pouvaient parler, il aurait beaucoup à raconter.

Je me sentais vivante quand le danger m'entourait, et plus le temps passait, plus je souhaitais que tout ça se termine. Qu'un de nos ennemis me chope et me crève, j'aurais enfin pu arrêter d'avoir si mal. C'était une contradiction de se sentir vivante à ce point quand on souhaitait embrasser la grande Faucheuse, j'ai jamais prétendu être saine d'esprit après tout.

Je me souviens avoir été jusqu'à provoquer les Pesadillos en plein jour sur leur territoire. J'en ai défié un de venir me montrer s'il avait des couilles. Il s'est approché de moi, il avait l'air prêt à en découdre. Je lui ai planté ma lame dans la cuisse et je suis repartie en marchant tranquillement, en leur tournant le dos.

C'était sans compter sur toi et ta putain d'habitude de toujours être là où il ne fallait pas. Je n'ai pas eu le temps de piger ce qui m'arrivait que j'ai été balancée dans un van et embarquée comme un putain de paquet.

J'ai d'abord cru qu'ils m'avaient choppé, que toute cette merde avec Matthew, Pitt, et tout le reste, allait enfin s'arrêter. Mais quand le van a stoppé, on était au club. Tu m'avais suivie et tu m'avais récupérée avant que je me fasse refroidir.

J'ai pris une engueulade monumentale de ta part ce jour-là. J'ai même pas tenté de lutter, j'étais ...j'allais mal.

Je me souviens avoir baissé la tête comme une môme, pas par honte de ce que j'avais fait, mais pour que tu ne puisses pas voir que j'avais juste envie de chialer. J'étais encore en vie et je ne voulais plus l'être Isaac.

J'avais bien vu la tête de vainqueur de Matthew quand j'étais rentrée, il savait pertinemment ce que j'étais partie faire, c'était même lui qui m'avait mise au défi. Après m'avoir poussé à bout avec des insinuations de merde sur le temps que j'aurais soit disant passé dans son pieu et que mon full patch venait de là puisque j'étais même pas foutue d'aller me fritter avec nos ennemis. Il l'avait fait devant plusieurs de ses sbires, il avait peut-être cru que je me dégonflerait. N'importe qui d'un peu réfléchi aurait préféré le laisser se moquer. Moi je savais qu'il continuerait toujours plus loin dans l'escalade et je n'en pouvais plus, alors crever là ou ailleurs, quelle importance.

Je me souviens que tu me hurlais encore dessus quand j'ai reculé. C'était trop pour moi, je supportais ses coups de merde, j'encaissais depuis longtemps tout ça, mais ta colère, elle me blessait sans que je parvienne à m'expliquer pourquoi. Alors j'ai fait plusieurs pas en arrière, j'ai pressé le mouvement quand tes mains se sont avancées pour me prendre par les épaules et j'ai filé vers ma bécane.

Je t'ai ignoré alors que j'aurais dû te remercier de m'avoir sauvé la vie...seulement je ne voulais pas être sauvée.

Il m'a suivie, silencieux et sournois, comme toujours. Il a attendu que je sois sur ma moto pour se glisser sur le côté. Il était proche de moi, bien trop proche. Il a posé sa main sur mon épaule avec un air paternel qui ne lui allait pas du tout et il s'est approché de mon oreille.

-Quoi que tu fasses Tiny Bird, personne ne pourra te protéger, tu es à moi !

J'ai fait rugir le moteur pour qu'il se tire mais il n'en avait pas fini avec moi.

-J'ai une autre seringue d'héroïne dans ma piaule ma belle, et tu sais quoi, y'a ton prénom écrit dessus.

Et il m'a embrassé dans les cheveux avant de s'en aller, l'air tranquille. J'avais l'impression de m'être brisée de l'intérieur et qu'il était venu piétiner chaque petit morceau de moi qui aurait pu rester. Il salissait tout ce qu'il touchait, et je me sentais plus souillée que s'il m'avait prise de force au milieu de la cour, alors je suis partie.

J'ai d'abord roulé à toute vitesse, pour me vider la tête, mais ça ne suffisait pas, ça ne suffisait plus.

C'est là que j'ai commencé à le faire.

J'ai stoppé net la bécane et j'ai fait demi-tour sur l'autoroute.

Les conducteurs me faisaient des appels de phares, klaxonnaient, et moi j'en avais rien à foutre. Je roulais toujours plus vite, à contresens sur cette putain de voie rapide.

La moindre erreur de ma part, le plus petit virage qui ne serait pas pris à la perfection et je finissais six pieds sous terre.

C'est quand j'ai dû semer les flics que je me suis arrêtée à San Bruno. Je me sentais tellement mieux après ça. Mon cœur battait à cent à l'heure mais je me sentais lavée de toute cette merde.

Je sais que tu vas hurler Isaac, mais je n'ai jamais arrêté de faire ça.

Quand je vais vraiment mal je prends ma bécane et je remonte l'autoroute à contre sens, aussi vite que je le peux.

Quand rien ne va plus, je danse avec la Faucheuse.

Les Enfants de la FaucheuseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant