Exil : 7 - Traquée

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Il existe certains moments dans la vie où l'on ferait mieux d'écouter son instinct. C'est sans doute ce qu'Abbie aurait dû faire alors qu'elle envisageait de reprendre la route, mais son état et le fait qu'elle essaie de se conduire aussi raisonnablement que possible étant donné les circonstances, l'ont poussée à passer une nuit de plus dans le petit chalet de Salt Camp.

Alors que la nuit englobe doucement le chalet, Abigail allume son téléphone portable pour consulter les message sur le réseau sécurisé où elle peut communiquer avec Isaac. Elle pianote quelques mots rapides, sans évoquer son départ ni son état d'esprit puis elle éteint le téléphone et le glisse dans la doublure de son cuir, dans une fine poche indétectable si l'on n'y prête pas attention.


À part pour cacher son téléphone et un peu d'argent, elle se demande encore pourquoi elle a embarqué son cuir. Elle hausse les épaules et se laisse glisser sur le lit. Après tout, depuis qu'elle l'a endossé pour la première fois, elle ne l'a jamais vraiment quitté. Même quand elle ne le portait pas, elle l'avait avec elle. Simple question d'habitude ou une façon détournée de se rassurer, de se dire que quoi qu'il arrive, elle reste une fille de la Faucheuse ? Elle balaie ce questionnement d'un soupir et ferme les yeux.

La climatisation du petit chalet grésille de façon régulière, enfin, en guise de chalet, il s'agit en réalité d'une maisonnette de bois comprenant une chambre, un coin cuisine et une salle de bain, mais pour Abbie c'est bien assez, elle ne compte pas s'attarder ici de toute façon.

Elle s'endort rapidement, comme souvent ces derniers temps, le sommeil l'emporte loin des questions sans réponses et des inquiétudes qui la rongent.

Cette nuit cependant, une lueur dansante au plafond la tire de son sommeil. Elle s'étire, paupières closes, espérant retourner dans la béatitude ignorante où elle se trouvait quelques minutes auparavant mais rien n'y fait, et ce ne sont pas les coups frappés en cadence sur sa porte qui vont l'aider à retourner dans les bras de Morphée.

-Deux minutes, j'arrive.

Elle n'a pas prêté attention aux lueurs rouges et bleues qui dansaient toujours dans la pièce, ça aurait pu lui mettre la puce à l'oreille. Quand elle parvient à s'extirper de son lit et qu'elle ouvre la porte, elle plisse les yeux en fixant la carte qu'on lui tend devant le nez. Il lui faut quelques secondes encore pour comprendre ce qui se passe, relever les yeux sur son interlocutrice et gronder :

-Putain fais chier !

-Ravie de vous rencontrer également Miss Ashton. Kimberly Wyatts, ATF*. Vous me laissez entrer ou je continue à attirer l'attention de tout le monde avec mes gyrophares ?

(*L' ATF est le bureau fédéral qui lutte, entre autres, contre le trafic de tabac, d'alcool, d'armes à feu et d'explosifs)

Abigail lève les yeux au ciel et lui fait signe d'entrer. L'agent de l'ATF a un sourire en coin, elle fait un signe vers le SUV noir pour que le conducteur coupe les gyrophares et pénètre dans le refuge de la future mère. Elle détaille les lieux du regard, longtemps, sans dire un mot, jusqu'à ce qu'Abbie, lassée, ne se laisse tomber assise sur le lit, les deux mains sur le ventre.

-Vous voulez quoi ?

-Une chaise ? Non ? Bon, je vais me débrouiller vu votre...état

Le regard de Wyatts se pose sur le ventre d'Abbie, puis elle saisit une chaise qu'elle vient poser devant celle-ci avant de s'installer.

-Il est de lui ?

-Qu'est-ce que ça peut vous foutre ?

-Voyons, on est entre femmes, vous pouvez me le dire Abigail.

-Mais va chier connasse ! Tu me veux quoi ? T'as un mandat ?

-Je ne pense pas avoir besoin d'un mandat...quoi que...

Le regard de la femme se pose sur la table de nuit où est posé le Beretta d'Abbie.

-On attendait de la visite ?

-« On » est jamais trop prudent, y'a toujours une pétasse qui décide de venir vous faire chier quand vous tapez votre meilleure sieste.

-Je pourrais vous faire coffrer pour ça .

-Dans le Dakota du sud la possession d'arme de poing est autorisée sans License, j'ai révisé mes leçons.

-Mais avec votre casier en Californie, j'ai comme qui dirait, un doute...Ce serait dommage que je prévienne le shérif pour une vérification. Il serait obligé de vous mettre en cellule le temps de s'assurer qu'il n'y a plus aucun dossier contre vous dans tous les autres états et mon petit doigt me dit que dans celui de San Antonio il pourrait y avoir quelques surprises. Je me trompe ?

-J'ai les mains propres, je me suis rangée. J'ai même fait un tour par leurs bureaux parce qu'ils voulaient m'interroger. Je suis une honnête citoyenne.

-Ben voyons, et moi je suis la fée clochette et je viens vous apporter une citrouille qu'on transformera en carrosse.

-C'est pas la fée clochette qui fait ça, vous devriez réviser vos classiques.

-Où est Isaac ?

-J'en ai aucune idée.

-Le gosse est de lui ?

-Qu'est-ce que ça peut te foutre ?

-On vous a surveillés, on sait que vous viviez ensemble depuis 5 ans, alors je dirai que tu portes son môme et qu'il serait pas très content que son bébé naisse en prison avant d'être confié à une famille d'honnêtes américains. Vous en pensez quoi Miss Ashton ?

Abbie serre les poings sur le drap, elle ferme les yeux et inspire longtemps avant d'ouvrir la bouche et d'offrir son sourire le plus mielleux à l'agent.

-J'en dis que tu essaies de me faire péter un câble parce que tu as sans doute disposé tout un tas de petits toutous prêts à intervenir si je te menace. Si c'était pas le cas tu aurais déjà pris mon Beretta. J'en dis que tu as rien contre moi, absolument rien, sinon j'aurais déjà les pinces. J'en dis ensuite que tu vas sortir d'ici et me foutre la paix parce que j'ai besoin de repos et que si tu te casses pas très vite je vais déposer plainte pour harcèlement. J'en dis ensuite, que j'espère que tu vas chercher longtemps et bien te faire pourrir par tes supérieurs quand ils verront que t'es tellement nulle que la seule personne que t'aies réussi à trouver c'est une femme enceinte qui ne se cache même pas. Maintenant dégage où j'appelle les flics, tu sais, ceux de terrain, qui servent vraiment à quelque chose.

Pâle comme la mort, Wyatts se redresse, lisse son costume du plat de la main et se dirige vers la porte qu'elle ouvre.

-On se reverra Miss Ashton, je n'en ai pas fini avec vous, ni avec lui.

Abigail prend le temps de se relever et la suit du regard, lorsque l'agent de l'ATF remonte dans sa voiture et démarre, elle pourra voir la jeune femme agiter la main dans sa direction avec un large sourire moqueur.

Une fois la voiture disparue dans la nuit, Abbie claque la porte, et rassemble ses affaires en jurant. Elle aurait dû écouter son instinct.

Les Enfants de la FaucheuseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant