Insantanés : 35 - Bouc émissaire

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Sur le cliché on reconnait la rue qui borde le club des Enfants de la Faucheuse à San Francisco.

Sur le cliché on reconnait la rue qui borde le club des Enfants de la Faucheuse à San Francisco

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Je me souviens encore des mots de Matthew ce jour-là, quand il a vu que je le fixais.

-C'est ça aussi mon taf, Tiny Bird, faire ce qui doit être fait pour protéger le club.

Je l'aurais cru, sincèrement, si j'avais été plus jeune, plus naïve, et surtout si je ne l'avais pas aussi bien connu, lui.

C'était en quoi, 2019 peut-être. On commençait à parler d'une épidémie de merde un peu partout, les gens avaient la trouille mais pas encore assez pour suivre les conseils des médecins, bref.

Du côté des Enfants de la Faucheuse, la vie continue sa petite routine. On se battait contre les Pesadillos, on convoyait des armes et on gérait le business de la meth en ville. Nos chimistes étaient parvenus à un rendement de produit qui avoisinait les 99%. Le procédé était deux fois plus long mais on produisait la meilleure came du marché et nos clients le savaient.

L'ATF nous foutait la paix, si je me souviens bien, ils étaient en train de monter un dossier sur les Devil's Summoners (un autre club de bikers) et un petit gang de rue qui bossait pour eux. On avait accepté de stocker une partie de leurs calibres dans un de nos entrepôts contre une info qui valait très cher. Nous savions, de source sûre, que les Devil's avaient déjà, par le passé, aidé les Pesadillos à sécuriser une de leur cargaison de coke et qu'ils savaient par où ces tocards faisaient passer leurs convois en général.

Nous avons obtenu l'information contre la disparition de leurs calibres, ce qui leur vaudrait un peu moins de pression de l'ATF et qui arrangeait tout le monde. Du moins, tout ceux dont on se souciait.

On avait décidé de taper le plus rapidement possible, mais les informations avaient été vérifiées. Je me souviens que tu avais envoyé deux équipes différentes pour suivre discrètement les convois et t'assurer que les Devil's ne nous la mettaient pas à l'envers en s'alliant aux Mexicains au dernier moment.

Finalement, les infos étaient correctes et les équipes avaient pu préparer l'opération.

On s'était postés sur l'autoroute, phares éteints, au niveau d'une vieille pompe à essence qui était hors d'usage depuis une bonne décennie. La sortie suivante était celle que les Pesadillos devaient emprunter avec leur cargaison pour aller la sécuriser, c'est à cet endroit précis que nous devions frapper.

Nous avons vu les deux camionnettes arriver, elles étaient précédées de deux motos et suivies de la même façon. Tu as donné le premier signal quand tout le convoi nous a dépassés, sauf les deux bécanes de fin de cortège. Un de nos vans s'est mis en travers de leur route. Les portes se sont ouvertes et les deux Pesadillos qui fermaient le convoi ont été mitraillés et obligés de rebrousser chemin.

Les autres, ceux d'entre nous qui étaient en moto, avons commencé à remonter le long de la sortie de l'autoroute. Deux bécanes sont venues remplacer, l'air de rien, celles manquantes alors que notre propre convoi avançait, tous phares éteints et remontait lentement dans leur dos.

Tu as donné le second signal à l'intersection suivante, en allumant tes phares. Notre second van a procédé de la même façon que le premier, mais cette fois pour isoler les deux motos de devant. Les camionnettes ont pilé sec pour éviter une collision et les deux bécanes de nos frères venues faire le leurre dans leur dos se sont stoppées.

Nous avons tous allumé nos phares à ce moment précis, permettant à nos frères les plus proches de descendre et de profiter de l'effet de surprise pour braquer les gars dans les vans ennemis et les désarmer.

Tout s'est fait rapidement et le peu de coups de feu tirés ont été davantage dans un but dissuasif que pour blesser. Une opération propre. On était tous très fiers de nous quand nous sommes rentrés au club pour annoncer la bonne nouvelle.

Mais en arrivant dans la rue, après avoir planqué ce qu'on avait piqué au Mexicains, une drôle de surprise nous attendait.

Il y avait des flics partout, des bandes jaunes, deux fourgonnettes mortuaires et une de ces tentes qu'ils déploient quand il y a un cadavre en pleine rue, pour éviter de choquer les passants.

On a fait demi-tour et on s'est repliés dans une de nos planques plus discrètes avant de revenir, par petits groupes, à pied, jusqu'au club.

Matthew s'entretenait avec un flic, c'était pas un shérif, pas de ceux qu'on croise habituellement, non celui-là ça avait l'air d'être un truc du genre fédéraux, pas l'ATF mais un truc sérieux, je crois qu'on m'avait donné leur nom mais sincèrement je m'en souviens plus.

Quand il m'a vue, il m'a fait signe d'approcher. J'ai obéi, j'étais trop curieuse pour rater l'occasion d'en savoir plus. Il m'a présentée au flic comme sa « petite protégée », j'ai eu envie de vomir mais tant qu'il foutait pas ses pattes sur moi, je gérais. Ensuite il m'a expliqué qu'un shérif était venu ici faire réparer sa bécane. Ça arrivait assez souvent, on était réputés pour notre savoir-faire. Seulement le frère qui l'avait pris en charge avait pété un plomb brutalement.

Le frère en question c'était Wilford Chaney, un chouette type. D'ailleurs Wilford était l'un de ceux qui voyaient clair dans le jeu de Matthew. Il était déjà venu me dire que si j'avais besoin d'aide il serait présent pour moi et que lui et plusieurs frères n'étaient pas dupes de ce qui se passait. Il avait déjà évoqué son envie de faire destituer Brook.

Je savais qu'il mettait doucement ses appuis en place, dans notre club et dans d'autres chapter également. C'était un chouette gars, fiable, et il aurait sans doute pu faire un bon VP ou un bon Président s'il avait fait un peu plus attention aux gens à qui il parlait. Certes, nous étions tous frères, mais certains à San Francisco étaient bien trop attachés aux petits arrangements que Matthew avait avec eux pour chercher à voir par-delà les apparences. Et si les envies de droiture de Wilford étaient venues à leurs oreilles, alors ce qui s'est passé n'était pas étonnant.

Matthew m'a sorti une drôle de fable, comme quoi nous savions tous que Wil détestait les flics, qu'il commençait à perdre la boule et répétait à qui voulait l'entendre qu'il en tuerait autant que possible.

Le Président a expliqué que quand il a vu notre frère braquer le policier, il a essayé de le raisonner, il lui a crié d'arrêter et il s'est précipité pour défendre l'agent de l'état. Déjà là, j'y croyais plus.

Il a raconté que Wilford a reculé en tenant le shérif contre lui, en lui braquant le flingue sur la tempe. Il a fini par le pousser contre une voiture. C'est là qu'il a tiré directement dans la tête du gars. Matt se serait jeté sur lui, une bagarre aurait éclaté entre les deux. Matthew répétait qu'il avait dû agir pour protéger le club, parce que « nous sommes des bikers, pas des assassins vous comprenez »...

Pendant la bagarre, un coup de feu a claqué et notre frère est tombé, raide mort, à côté de sa victime. Bien entendu Matthew jurait qu'il n'avait jamais voulu tuer quelqu'un, il arrivait même à avoir la voix qui tremblait. Putain ce mec me donnait la gerbe.

Le flic a pris sa déposition et lui a tapé sur l'épaule en le félicitant d'avoir voulu, à lui seul, arrêter un fou furieux. Non mais on croyait rêver, encore un peu et il allait filer une médaille à ce connard.

Du coup, notre victoire du jour a été effacée brutalement par le deuil d'un de nos frères. Son seul tort, j'en suis persuadée, c'était d'avoir commencé à faire de l'ombre à un fou furieux qui était avide de pouvoir et de contrôle. En tous les cas, le message était passé, quiconque chercherait à doubler Matthew finirait entre six planches.

Les Enfants de la FaucheuseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant