6. Transparence

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Serindë.


Je me suis toujours demandée comment j'allais finir. Reine ? Exilée ? Riveraine ? Seule ?

Du moins, pas sans mes sœurs. Leur manque se fait ressentir.

Quant à ma mère, ça fait déjà des années que j'ai apprit à faire une croix dessus.

Je me sens en colère. Plus contre Aerin cependant : j'avais besoin d'une coupable et Aerin était si proche, si fragile. Je suis en colère contre Mai.

Je sais que je suis la seule à blâmer, mais me l'avouer signifierait que j'ai encore tout raté. Et je ne peux pas, pas encore une fois.

J'ai l'impression de ne rien valoir. Mai me fait me détester encore plus que je me haïssais avant. Et c'est si dur de garder mon calme en voyant quelle salope m'a arrachée ma sœur.

Je suis si jalouse que Mai ait obtenu l'amour de mon père, ma mère et Indis ! CE N'EST PAS JUSTE ! Pourquoi elle et pas moi ? J'aurais pu être là, à sa place. J'aurais dû !

-Hé, Serindë ! s'écrit Aerin.

-C'est bon, je suis là.

Mais qu'est-ce que je suis en train de devenir ?

Une reine en pleine rébellion, fuyant lâchement son peuple qui n'attend que son aide.

Aerin m'observe. Je dois faire peine à voir. Mon corps est plongé jusqu'au cou dans l'eau gelée d'une rivière. Je tremble et la cascade qui s'écoule violemment dans cette eau froide ne m'aide pas à me réchauffer.

Plongeant mes mains sous l'eau, je gratte les saletés sous mes ongles. Je me sens sale. Baigner dans cette rivière est semblable à une renaissance.

Le froid a déjà engourdi mes doigts et ceux-ci me brulent douloureusement. J'ai l'impression d'être paralysée tant mes membres sont incapables de se mouvoir à cause du froid.

Je suis dos à la rousse, je ne la vois donc pas examiner mon corps entièrement habillé. Je pense qu'elle ne peut même pas deviner que je porte encore mes vêtements, la nuit me rend presque invisible.

Mon haut noir colle désagréablement mon épiderme et mon pantalon est similaire à une deuxième peau. Ma cape flotte mollement autour de moi. J'ai l'impression d'être enveloppée par les ténèbres. Par mes ténèbres.

C'est effrayant, mais à la fois exaltant.

-Que faites-vous ? murmure-t-elle, craignant de briser l'atmosphère calme dont s'est imprégnée la forêt depuis que je suis dans l'eau.

Je repousse mes limites jusqu'à être au bord de la mort.

-Je me lave, lui répondis-je nonchalamment, comme si je ne frôlais pas l'hypothermie.

Derrière moi, ses pas sont de plus en plus bruyants. Elle se rapproche et une fois à mes côtés, trempe sa main dans l'eau.

Elle la retire brusquement et s'écrie :

-C'est gelé !

Entourée de cette noirceur, je ne sais pas si je me sens bien, si je me sens mal. Je ne ressens rien.

Mon esprit est embrumé par le froid et mon corps est de plus en plus faible et fragile. Bouger ne serait-ce qu'un petit doigt est semblable à si j'avais plongé ma main dans des coulées de lave volcanique.

Aerin parle. Je ne l'entends pas. Je m'en fiche d'elle.

Une hypothermie grave peut entraîner la mort.

Quelque chose tapote ma joue gelée et une vague de douleur me parcourt le visage. Je ne peux à peine ouvrir mes lèvres bleuies pour former un mot.

Être consciente est un supplice. Mon corps me brûle chaque fois que quelque chose le met en mouvement.

Eyelash BeatOù les histoires vivent. Découvrez maintenant