37. S'envier, saigner, s'aimer

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Serindë.



Je suis jalouse. Carrément jalouse.

Jalouse de la façon dont Dagnir se contente de se perdre dans ses pensées et de ne plus penser à rien pendant que moi, je pleure douloureusement nos morts, la gorge asséchée et la respiration écourtée par des sanglots qui m'écrasent le cœur.

Je geins, presque habituée à mon incapacité à réagir face à ce dont mon père m'avait entraînée tant de fois à faire.

L'insensibilité.
Ne jamais réagir et refouler les relents de son cœur arraché, quand bien même cela fait mal et que les envies de tout lâcher sont plus puissantes que celles de se battre.

Eöl.
Mai.
Celeanar.

Ils ont perdu ce qu'ils avaient de plus cher. Leur humanité.

Et c'est celle-ci qui leur a été prise par celle pourrie d'une âme noircie.

C'est dans la nature humaine de détruire tout ce qu'elle touche.

Et je ne suis certainement pas prête à affronter tout ce qui suit. Parce que je serai confrontée au deuil.

Au deuil.

C'est réaliser qu'ils sont morts et ça me sonne impossible. Ils reviendront. Ils ne peuvent pas partir comme ça.

Le deuil, c'est attendre qu'une personne revienne en sachant qu'elle ne reviendra jamais.

Et c'est l'étape la plus douloureuse à laquelle j'ai jamais été confrontée.

Ça fait tellement mal que, moi aussi, j'ai envie de disparaître. De me retrouver six pieds sous terre, en leur compagnie.

Et je ne cesse de penser au corps froid de Celeanar, aux yeux révulsés de Mai et à la gorge tranchée d'Eöl.

C'en est à gerber.

Je sens mes larmes lentement se tarir, noyées par l'épuisement que mon corps ressent depuis maintenant des jours. À l'aide de mes manches, je les fais disparaitre de mes joues et je décide finalement de me lever du lit dans lequel je pleure sans relâche depuis des heures. J'ai déjà été suffisamment égoïste en laissant Indis gérer tout cela toute seule alors qu'elle n'a que huit ans.

-Où tu vas ?

Tu te décides enfin à parler ?

Et malgré mon cœur qui souffrait de l'absence de sa voix et qui désire plus que tout lui apporter une réponse, je décide de l'ignorer et de quitter la chambre.

Et à mon plus grand désespoir, il ne me rattrape pas.

Mes pas traversent ces couloirs d'un palais que je ne connais plus et je trouve rapidement place devant la chambre d'Indis dont je ne trouve pas la force pour entrer.

Je n'ai pas envie d'affronter tout ça.
Je veux juste dormir.
Oublier tout ça.
Et dans les cieux, partir.

Mes yeux s'attardent sur les ornements antiques qui décorent le palais et je les trouve sublimes. Je n'avais jamais pris le temps de les regarder comme ça. De les voir comme si c'était la dernière fois.

Eyelash BeatOù les histoires vivent. Découvrez maintenant