36. Traverser l'enfer

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Serindë.


Cette liberté a le goût de cendres.

Et j'ai l'impression de traverser l'enfer.

La pièce est devenue un capharnaüm. Indis hurle si fort que des acouphènes viennent brouiller mes oreilles, les rebels s'agitent et les autres regardent.

Ils regardent le sol. L'endroit où Eöl était il y a quelques secondes. Et il ne reste plus rien de lui, mis à part sa tête tranchée de mon épée que je n'ai pas la force de regarder.

J'ai envie de vivre.
Je mérite de mourir.

J'ai tué Eöl.
Je l'ai tué.

J'ai tué la seule personne qui m'a acceptée dès le premier regard.

Et je revois la scène, celle qui m'apparaît clairement alors qu'il y a quelques instants, je n'y prêtais pas attention.

Indis, jetée par la rambarde. Indis qui était derrière nous et donc plus proche du feu. Indis dont une étincelle s'est délicatement posée sur sa robe et qui s'est enflammée lors de sa chute.

Et Indis. Indis qui serre Eöl dans ses bras et qui éteint la flamme omniprésente sur sa robe pour la transvaser sur le corps d'Eöl.

Il est mort sous les centaines de paires d'yeux qui ont abandonné le sang pour observer la mort de face.

D'une façon des plus horribles.

Certains vomissent, d'autres pleurent.

Et je n'entends plus rien, comme si j'étais enfermée dans une prison annihilante qui m'empêche de ressentir quoi que ce soit.

Le choc me paralyse complètement et stoppe la moindre de mes petites réflexions.

Je vois le monde bouger autour de moi, et tout se floute, comme si ma vision se déclinait à chaque seconde, avant que je ne me rende compte que ce n'est que l'effet des larmes qui s'engouffrent dans mes yeux.

Et je ne suis même plus étonnée ?

Est-ce que c'est grave ?

Je ne suis plus étonnée de voir que ma famille finit par crever, membre après membre.

Tous les uns après les autres, ils m'abandonnent. Ils me lâchent misérablement et je finis seule à pleurer leur mort.

Je ne compte plus le nombre de tombes que nous allons finir par ajouter au cimetière.
C'est déjà bien trop.

J'ai l'impression que mon cœur s'enfonce dans mon ventre pour y former un nœud, et c'est tellement douloureux.

J'ai envie de vomir.
De vomir toutes mes erreurs.
De les recracher et d'oublier tous mes malheurs.
J'ai envie de mourir.

Et qu'est-ce qu'on fait maintenant ?
Comment est-ce qu'on s'en sort ?

Ce meurtre si violent a cloué tout le monde sur place.

Lorshara n'est qu'à quelques mètres de moi, le visage plongé dans ses paumes, et elle est tant vulnérable que la capturer ne nous prendrait que quelques secondes.

Et pourtant, je n'en ai pas la foi.

Après tout, elle n'est pas notre véritable ennemie. La laisser se sauver garderait l'identité du traître secret, mais ce n'est plus important désormais.

Eöl est mort.
Il n'est plus là.

Cirdan, habituellement très peu affectueux, est le seul qui s'est déplacé afin de s'accroupir aux côtés d'Indis pour la réconforter.

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