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[Ne m'attends pas.]

Aujourd'hui, malgré le beau temps, j'ai décidé de travailler toute la journée, afin de profiter de mon samedi soir. Il est dix-sept heures quand j'achève enfin mon dernier labeur. Et comme souvent à cette heure-ci, je pars marcher le long de la plage, mon casque rivé sur les oreilles.

Au bout d'un long moment, je tente de lire sur un banc, mais je ne parviens pas à me concentrer. Il doit être dix-neuf heures quand je retourne m'installer en haut de la plage, sur les galets froids, à ma place. Par habitude, je sors le petit plaid de mon sac, ainsi qu'une bière. Installée là, toujours avec ma musique, je regarde les kitesurfers s'envoler au-dessus de la mer.

Dans à peine une heure, le soleil se couchera et j'aime ce moment, cette parenthèse farouche. Personne ne sait que je viens ici – enfin pas vraiment – et pourtant je le fais toute l'année depuis ma venue au Havre. Chez Tom, j'ai trouvé un foyer, ici c'est moi que je retrouve. Pour une personne aussi indépendante, introvertie et solitaire, il m'est difficile de partager une chambre. Emma qui s'est installée peu de temps après mon arrivée m'avait proposé d'emménager avec elle, mais pour toutes ces raisons, j'ai décliné. Je préfère vivre avec une inconnue si cela nous permet de sauver notre amitié.

Le soleil se couche. Étrangement, la plage ne se vide pas. J'entends parler d'une soirée improvisée, alors je me lève et rentre. Au Havre, je marche. Toujours. J'ai essayé le vélo, les transports en commun, mais ce que je préfère, c'est marcher.

Une demi-heure plus tard, je passe devant le café qui s'apprête à fermer et je traverse la rue. Dans l'ascenseur, mon reflet me renvoie mon appréhension. Va-t-il jouer le jeu ? Se trouve-t-il chez moi ? Ou bien chez lui ?

La nuit est tombée, ma chambre reste sombre. J'avance et je trébuche sur quelque chose. Je me retrouve affalée à moitié par terre et sur mon lit. J'allume et je vois un pack de bières, des Pilsner Urquell. Je me retourne, personne n'est là. Dans le pack, un papier roulé est glissé entre les bouteilles. Dessus, il est écrit : « Voici quelques bières en guise d'excuses. Ne m'attends pas. » 

Une partie de moi comprend, une autre ne peut s'empêcher d'être déçue. J'ouvre une bière et j'écoute un peu de musique. Mon téléphone sonne, m'indiquant que je viens de recevoir un message.

Emma : « Tu sors, ce soir ? On va tous au bar de la plage. Grosse soirée, tout le monde sera là-bas. »

Moi : « Pas ce soir, Emma. »

Elle : « Laisse-moi deviner ! Tu y vois une occasion d'être seule et tranquille dans un bar, c'est ça ? »

Moi : « Oui ».

Elle : « Asociale ! »

Elle a tellement raison.

*

Vers vingt-et-une heures, je pousse la porte du Cold Hands et effectivement, pour un samedi soir, c'est assez mort. J'avance jusqu'au bar où je m'installe. José s'approche de moi aussitôt.

— Tu n'es pas à la plage ?

— Trop de monde.

— Tant mieux pour moi. J'ai rentré une nouvelle bière, ça va te plaire, tu tentes ?

— Oui, si tu veux.

— Cool !

Il prend un verre, il sait que je ne bois que des pintes. Il revient, me la tend et attend que je le déguste, mais je préfère examiner le verre.

Folie toujoursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant