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[Tumulte.]

En rentrant chez lui, alors qu'il commence à faire nuit, Alex allume la petite lampe du salon. Il étale tous les coussins de son canapé sur son amas de tapis près de sa platine. Il se dirige vers le lit et récupère nos deux oreillers pour les ajouter sur l'ensemble moelleux qu'il fabrique. Il agrippe une couverture qui atterrit à côté.

Je le regarde sortird'un tiroir de son bureau la version originale de Capitaine Futur qu'ilpose à portée de main, tout près de mon ultime lettre scellée qui contient sansl'ombre d'un doute, ce qu'il s'apprête à me livrer. Il attrape deux bières qu'il décapsule pour me les tendre. Enfin, il tire un disque qu'il semble prendre au hasard, mais quand il allume sa platine, je sais que c'est un choix et qu'il n'est pas anodin.

C'est sur la voix de Woodkid et le son puisant d'Iron que j'observe l'homme que j'aime s'asseoir au milieu de la forteresse qu'il vient de bâtir. C'est en suivant l'écho des cuivres et des météores, si intenses et représentatifs de la colère, voire de la rage, que je me blottis contre lui. Et c'est en m'imprégnant de ce chant évoquant la guerre que je me prépare à écouter et à accueillir son tumulte intérieur.

— Tu te souviens, je te parlais de la buée sur la fenêtre ? dit-il après avoir laissé s'éteindre la musique.

— Oui, Alex, je me rappelle de chacun de tes mots, tu ne voyais pas grand-chose, il faisait tellement froid dehors que quand tu t'approchais du carreau, il s'embuait dans l'instant.

— Pendant des semaines, cette impression ne m'a pas quittée. Dès que je m'approchais du but que ce soit dans mes rêves ou mes cauchemars, que ce soit en écrivant ou en essayant de lire mon livre, mon esprit s'embuait. Tout devenait sombre, tout devenait opaque, plus rien ne s'accrochait à moi. Ce n'est que lorsque je pensais à toi que j'arrivais à respirer.

» Alors je t'écrivais une lettre, mais inévitablement, j'entendais ta voix dans ma tête qui résonnait : « Tu te poseras la question. Tu n'oublieras pas ? » Et alors, je recommençais, je réessayais de m'approcher du but, de lire mon livre. J'échouais et je t'écrivais, mais je t'entendais me dire « C'est où, chez toi, Alex ? ». Alors j'essayais encore et tu me disais : « Promets-le, Alex. Ne l'oublie pas ! » Et enfin : « Sois honnête avec toi-même, Alex ».

» J'ai tourné en rond pendant deux mois comme ça, Loïs. Je me mentais à moi-même, à toi, à ma famille, à mon éditrice à tout le monde. Pendant deux mois, je lui envoyais des pages que j'avais écrites ici, il y a longtemps. Je donnais le change pour tenter de parvenir à mon but, en vain.

Il marque une pause et boit un peu de bière. De mon côté, je caresse inlassablement son poignet en tenant sa main dans la mienne. Le calme avec lequel j'accueille ses confidences me rassure. Je suis bel et bien en paix avec cette part de moi, de mon histoire, de la nôtre. 

— Quand mon éditrice m'a dit qu'il fallait te rappeler en urgence, j'étais terrifié. Je ne savais pas de quoi il s'agissait, mais j'étais en panique. Si tu essayais de me contacter, si Renaud tâchait de me joindre, c'est que quelque chose de grave avait eu lieu. Ça m'a paralysé. Tu avais besoin de moi, mais je ne pouvais presque plus respirer. Je me suis senti lâche, pourtant, je n'arrivais pas à me résoudre à te téléphoner. J'étais incapable de te faire face alors que de mon côté je ne parvenais qu'à échouer. Je ne souhaitais pas te décevoir, mais c'est comme ça que je t'ai fait le plus de mal.

— Quand j'ai compris que tu ne me rappelais pas, malgré ce message, je ne t'en ai pas voulu. Tu peux demander à Renaud, il était là. Tu ne savais pas tout, Alex. C'est pour ça que j'ai téléphoné à ton père, pour que tu sois au courant. Et tu m'as rappelé, Alex. Tu l'as fait.

Folie toujoursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant