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[Comme une gravure.]

— J'ai également terminé mon boulot, trésor !

— Quel boulot ? s'étonne Alex.

— Le tien aussi d'ailleurs.

Je plisse les yeux en regardant Alex qui s'interroge tout autant que moi. Nous savons tous les deux que nous ne pouvons parler que de tatouage.

— J'ai en outre fini le mien, ajoute Renaud.

Alex est encore plus estomaqué que moi. Renaud est probablement le tatoueur le moins tatoué que je connaisse. Il ne possède que trois tatouages.

Une mystérieuse loutre située dans un endroit sans doute délicat. Le tatouage qu'il porte sur le haut de la cuisse et qui a brusqué ma mémoire quand je l'ai vu presque nu. Il s'agit d'une magnifique fleur de magnolia. Et enfin, un tatouage sur l'avant-bras droit représentant selon mon interprétation les quatre éléments.

Il se compose de quatre cercles disposés les uns au-dessus des autres. Le fond est noir et les éléments graphiques sont en blanc, ce qui pour le tatouage correspond à la peau. On peut voir des nuages représentant l'air, celui qui me fait penser à Renaud. Une vague puissante qui se brise, incarnant l'eau, j'y devine un peu d'Alex. Des flammes nerveuses et dangereuses décrivant le feu ne me disent rien, en revanche. Et en dernier, une montagne solide et paisible qui symbolise la terre et fait écho à José.

Renaud ne nous répond pas, mais il retourne dans le salon où il a abandonné son sac et sa pochette à dessin. Il sort trois cartons noirs et épais sur lesquels il a contrecollé chacun de nos croquis, chacun de nos futurs tatouages.

J'aime la manière dont Renaud prend le temps d'exposer ses œuvres. Je le sais qu'il ne les présente pas ainsi parce qu'il octroie une grande valeur à son travail, même s'il devrait. Non, il les chérit de la sorte, car il accorde un profond respect au bout de nous-mêmes qu'on lui a confié, qu'il a accueilli et recueilli.

*

Il s'avance près de mon mur en briques où se trouve ma platine. Sur celui-ci, j'ai une toute petite étagère me permettant de mettre dessus la pochette du disque que j'écoute sur le moment. Il enlève celle qui s'y situe actuellement, et il place la première planche.

— Celui-ci est pour toi, trésor.

Alex me suit et je le devine très curieux. Depuis que je lui ai dit que je l'aimais sans condition, nous avons recommencé à dormir ensemble, il m'a immédiatement rappelé Amour et m'a demandé de lui raconter l'histoire de mes tatouages. Il sait donc qu'il a toute sa place ici. Je m'avance devant le mur, Alex s'engage derrière moi et Renaud se positionne sur le côté, afin de pouvoir m'observer.

Ce qui me fait sourire tendrement, c'est que la première chose que j'ai vue, au moment même où j'étais encore loin, c'est le style graphique qu'il a choisi. Comme une gravure. Ce style que j'aime tant, similaire au tatouage d'Alex, « Toucher le fond, si joliment ».

Le tatouage représente la scène poétique d'une femme contemplant un ciel, une nuit. La femme est de dos, dessinée jusqu'à la taille. Elle porte une coupe carrée et mal coiffée – un peu floue comme dirait Emma – elle revêt un débardeur lâche, ainsi que quelques tatouages sur les bras.

Le ciel est noir, mais il se compose de plusieurs astres et d'une lune tempétueuse. Mais il y a autre chose, des éléments qui ne sont pas vraiment des étoiles. Je reconnais la silhouette d'une mouette ressemblant à une étoile filante, un petit disque vinyle qu'on confond avec une planète et une constellation de quelques points reliés ensemble, représentant un corps, comme le reproduirait un enfant.

Folie toujoursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant