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[Ancrage.]

La semaine commence sur les chapeaux de roue. J'ai revu tout mon planning des prochains jours pour amorcer la deuxième phase de mon projet. Je suis en train de faire ce que j'aime le plus, bosser sur la communication visuelle de mon entreprise. Je me replonge dans mes vieux carnets, et dans ma pochette à dessin, je découvre le cadeau de Noël que Renaud m'avait offert.

Il avait mis en esquisse des idées que j'avais notées et il avait particulièrement travaillé autour de la notion d'ancrage. Ce mot revient souvent dans mes calepins et chaque fois que j'évoque mon projet. Il signifie beaucoup de choses pour moi.

Quand j'utilise ce mot, je veux essayer de transmettre le fait que j'ai réussi à m'ancrer dans cette ville pour en faire mon « chez moi ». Tout en me constituant une famille. Cette notion fait sens dans mon projet, car la communication visuelle permet d'ancrer une image, une identité.

Mais quand je regarde ces dessins qui m'avaient grandement ému à Noël, la seule chose à laquelle je songe, c'est Renaud et ses paroles : « À partir de maintenant, considère-moi comme ton ancrage ».

Je repense à sa force, sa ténacité, sa persévérance et sa résilience. Je me rappelle à quel point, il a réussi à s'enraciner, et à devenir celui qui nous lie. Je pense aussi forcément à la façon dont il encre dans la peau des gens, telle une gravure, leurs émotions avec une justesse affolante. L'évidence dont il fixe les sentiments et les habitudes des autres. La manière familière qu'il a, de s'attarder chez moi, chez les autres de façon importune, mais délicieuse.

En observant ses dessins, ce que je visualise, c'est lui, son studio de tatouages et son studio photo. Je n'ai encore jamais vu ses photographies, mais je suis intimement convaincue qu'il arrive à capturer l'instant avec autant d'intensité et de finesse. Qu'il parvient à épingler et à ancrer des vérités que lui seul peut percevoir.

C'est ainsi que je passe quelques jours et quelques nuits à concevoir « Ancrage Studio ». Je lui imagine un nom d'entreprise, un logo décliné en trois versions, celui pour la photographie, celui pour les tatouages et celui pour tout ce qu'il lui plaira d'entreprendre en tant qu'artiste accompli. Je lui propose donc une identité graphique qui permettra de le reconnaitre sans même lire son nom. Je lui conçois à partir de ses propres esquisses sa marque, le design de son logo, ses couleurs, sa typographie, ses signes caractéristiques, tout.

Une fois satisfaite de mon travail, je dédie de longues heures à tout mettre en page dans un recueil au format de mes carnets de dessin. Je vais chez l'imprimeur pour qu'ils me façonnent ce livret avec une reliure cousue à la main. Puis, sachant qu'il n'aime pas quand je deviens sentimentale, je décide d'attendre qu'il soit au bar pour faire les choses simplement.

*

En rentrant chez moi, un jeudi en début de soirée, je le vois avec José et Alex.

— Une envie pressante, ma belle ? lance-t-il alors que je passe derrière eux sans dire bonjour, bien trop pressée d'aller chercher mon cadeau.

— Tu parles à ta main gauche ? répliqué-je sans me retourner.

Quand je reviens, je m'assois avec eux.

— Tu t'imposes là, trésor.

— À part toi, quelqu'un s'y oppose ?

— Non, dit Alex en me souriant.

— Surement pas, puisque tu fais la fermeture ! ajoute José.

Je glisse une boite sur la table, similaire à celle qui accueille mes sex-toys. Je vois les yeux d'Alex devenir curieux, et ceux de Renaud être coquins.

Au fur et à mesure de la soirée, il tapote le couvercle avec le bout des doigts. Parfois, il pose une question : « C'est un petit nouveau ? Tu fais une braderie ? Une proposition indécente ? Des photos coquines ? ».

Au bout d'un moment, il n'arrive plus à se retenir. À ce moment-là, José part servir des clients, Alex nous resserre des bières et je me retrouve aux toilettes. Subitement, alors que j'ouvre la porte pour ressortir, il s'engouffre dedans et nous enferme.

— Tu veux faire ça contre la porte ou sur le muret ? dis-je en m'approchant de lui sensuellement avant d'éclater de rire. Non, sérieusement, laisse-moi passer, je ne souhaite pas te voir pisser, encore !

— À quoi tu joues, Loïs ? dit-il, sans envie de plaisanter.

— Est-ce que je peux te piquer ta réplique, parce que je suis perdue là ?

— Tu sais très bien de quoi je parle, insiste-t-il en me regardant dans les yeux.

— C'est la manière que j'ai trouvée pour te prouver ce que tu sais, et faire ce que tu refuses toujours, Renaud.

Il me dévisage, demeurant silencieux. Je devine qu'il est ému, en fait, c'est frappant. Les muscles de sa mâchoire tressaillent lentement, ses yeux scintillent et son souffle est lourd. Il ouvre la porte et s'écarte pour me laisser sortir. Quand je m'élance dans le bar, suivie de Renaud, Alex nous lance un regard amusé. Puis, sans que je m'y attende, Renaud me lance :

— C'était un vrai plaisir, trésor ! 

Folie toujoursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant