Chapitre 30

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Je suis enfermée avec Juan, ça fait déjà une quinzaine de minutes que j'essaye d'enlever les morceaux de balle de sa plaie mais chaque fois que je glisse la pince, il manque de perdre connaissance. Même si son cœur n'a pas été atteint, il a perdu bien trop de sang et celui-ci ressurgit dès que je trifouille sa blessure. Par conséquent, je ne fais qu'empirer son état déjà très critique. Mendoza est très pâle, faible, brulant et tremblant.
_Isabella. Sa voix n'est plus qu'un souffle pourtant si doux, en prononçant mon prénom de ses lèvres charnues -sur lesquelles je ne peux m'empêcher de poser les yeux - il grimace.
_Qui y a-t-il ? Lui demandais-je calmement tout en passant un linge humide sur son visage dont j'imprègne chaque trait dans ma tête comme si je craignais que d'une seconde à l'autre, il ne soit plus là.
_Referme la plaie, ne t'embêtes pas...
_Mais ça risquerait de s'infecter ... Il est tellement beau avec ses cheveux noirs ni trop longs ni trop courts et ses yeux brillants sont si prégnants que j'en perds la tête alors je lui obéis. Je me lève pour aller chercher une aiguille et du fil dans la trousse de mon père. Je plonge cette dernière dans de l'eau bouillante pour la stériliser et m'en retourne rejoindre celui que j'aime. Je m'agenouille à ses côtés :
_J'ai à vue d'œil 5 points à faire. Tu es prêt ? Pour seule réponse, il caresse mon bras droit de sa main gauche. Ce geste me rassure, il est toujours là et il est prêt à souffrir pour survivre.
Moi non plus Juan, je ne t'abandonnerai pas.
Alors prenant mon courage à deux mains, j'entre l'aiguille dans sa chair. La sensation est toujours aussi désagréable, de plus je sais que je lui fais mal. Et en effet, tout son corps se dresse instantanément -sa main quitte mon bras - il déglutit et se mord la lèvre. J'aimerai tant que ma présence la réconforte plus mais je connais cette douleur et la sensation de se faire charcuter est loin d'être affable.
Je m'arrête quelques secondes, lui caresse la cicatrice qui longe sa nuque et remonte mes doigts à sa joue. Je me penche davantage vers lui -ses yeux sont fermés et je perçois qu'il se détend légèrement - puis en frôlant ses lèvres de ma bouche entrouverte je lui implore :
_Juan ça va aller, il faut que tu tiennes le coup. Je t'en prie.
Soudain il se met à caresser la paume de main gauche plaquée sur le sol et alors je comprends : c'est très délicatement mais avec un désir infini que je pose mes lèvres sur les siennes si parfaites. Des milliers de frissons me parcours l'échine, des papillons naissent dans mon ventre. Je m'étonne à me mettre à trembler et légèrement à sangloter. Le moment est peut-être mal choisi mais je suis aspirée à un tel point, que je passe ma langue dans sa bouche pour rencontrer la sienne. Je fonds : l'émotion est invraisemblable. Ses caresses sont si douces, si profondes... C'est à bout de souffle que me résigne à me détacher de lui. Les larmes aux yeux je lui souffle dans la bouche :
_Oh Juan. N'en veut pas à mon père, s'il te plait. Ne cherche pas à te venger, je ne sais pas ce qu'il a mais il est si ... différent... Je le reconnais pas. Il est devenu si odieux ...
A cette confidence, la bouche de Mendoza forme un « ho » d'étonnement et il se décide à ouvrir les yeux.
_Attends Isa, tu veux dire que ... mais je croyais qu'il t'avait déjà ... Il puise dans ces dernières forces pour me parler ce qui doit amplifier la douleur à son abdomen car ses traits se durcissent, je me décide alors à me détacher davantage de lui pour qu'il puisse respirer mais il m'en retient.
_Oui, comme je te l'ai dit, ça lui arrivait de me gifler mais la dernière fois qu'il a fait je devais avoir huit ou neuf ans mais c'est la seule chose qui s'est permis de faire contre moi... Et les seules fois qu'il utilisait son fouet et qu'il s'autorisait à se déchainer c'était toujours contre les félons du royaume ... Je l'ai vu faire de nombreuses fois ... Et à chaque fois sont regard était si vide, sa vengeance si froide que ça m'en glaçait le sang. Mon père revenait toujours vers moi en rigolant -c'est mon visage apeuré qui le faisait rire, je pense - me disant qu'il ne ferait jamais preuve d'autant de violence envers moi.
Étant à la cour, tous ceux qui y résident sont invités à regarder le châtiment de ceux qui s'opposeraient au gouvernent royal. La sentence est proportionnelle aux actes qu'ils ont commis ... certains se faisaient flageller ... c'est arrivé à mon père de jouer ce rôle. C'est Philippe de Habsbourg dit le Beau qui l'a pris à son service. Jamais je n'aurais pensé qu'un jour, il puisse m'appliquer la même sentence... je ne suis pas opposée à Charles ... Enfin pas à ce que je sache ...
Je cherche dans ma mémoire la raison pour laquelle mon père aurait agi ainsi ...
Et ma mission et la tienne ? TU EN FAIS QUOI ?
Mais bordel ! Je suis sa fille tout de même. Mon père aurait tout de même dû m'épargner, en sachant que la remplirait cette mission et que c'était d'ailleurs le cas à ce moment-là ...
_Y a un truc qui cloche ! Je lâche.
_De quoi ? Tu penses que ton père n'agit pas de son plein gré ? -Je suis étonnée par sa phrase, c'est comme s'il avait pu lire dans mes pensées. - Il s'est pourtant fait un foutu plaisir à me transpercer la gorge et à me menacer de me tuer ... heureusement que tu étais là. Je te dois la vie Isa.
Je suis trop concentrée à réfléchir pour lui répondre alors je hoche la tête. Puis me remets au travail. Cette fois, j'en suis désolée pour Juan mais j'y vais sans scrupule, je suis bien trop énervée. Et de toute façon il faut bien en finir avec cette plaie. J'y vais tout de même avec douceur, je connais que trop bien cette souffrance.
Tu penses que ton père n'agit pas de son plein gré ?
Si c'est le cas alors qui ou quoi, comment ?
Ha ! M'énerve une fois de plus ! On est au service du royaume tout de même, j'ai les deux pieds dedans depuis que je suis toute petite et il faudrait qu'ils nous cachent des choses ? C'est impossible ! C'est surement cette Marinche qui exerce une mauvaise influence sur mon père... bordel.
A cet instant sans m'en rendre compte, je fais un mauvais mouvement.
_Isabella.
La faible voix de Juan me sort de mes pensées en sursaut. Je le regarde et soulève un sourcil qui traduit un « qu'est-ce qu'il y a ? ».
Un peu gêner il me répond franchement :
_Tu me fais mal.
_Pardon, Juan, je suis un peu sur les nerfs... je n'aime pas penser au fait que ce que tu as pu dire sois vrai ... tu sais sur « Tu penses que ton père n'agit pas de son plein gré ». Ça insinue trop de choses.
_Alors oublie ce que j'ai dit et finissons-en avec cette blessure une fois pour toute tu veux ? Il me donne un de ses plus beaux sourire, je suis heureuse d'avoir réussi à le détendre mais maintenant je suis tout l'inverse.
_Je peux faire une chose avant ? Il continu de me sourire, alors je me penche pour le ré-embrasser de plusieurs baisers pressés et fougueux. Voyant que je suis incapable de m'arrêter il se met à rire, d'emblée je détache mes lèvres et me mets à rougir. C'est sous son regard charmeur que je fini de le recoudre.
_Et voilà, c'est fini m'exclamais-je. Je vais bander tout ça, puis tu pourras te reposer.
Je soupire à l'idée que mon père reviendra forcément pour nous rendre nos comptes. Je me demande comment les enfants s'en sortent d'ailleurs...
Toujours dans mes pensées, je prends la bande dans mes mains pour lui appliquer. Mes yeux se posent alors sur son torse nu, humide de sueur et musclé que je me mets à caresser. Et une fois de plus, Juan est obligé de me rappeler à l'ordre, il rigole en voyant ma mine déconfite. Je fini par lui donner un sourire. Son bandage terminé, je m'allonge à ses côtés. Il m'enveloppe de ses bras et caresse ma chevelure. Tandis que je passe mes doigts sur sa cicatrice que j'aime tant tripoter. Aucun de nous n'ose parler, ce moment est trop précieux. Le décompte est enclenché... et en effet, au bout d'une petite demi-heure durant laquelle je n'ai pu détacher mes yeux de son visage, des bruits se font entendre. Je me redresse soudainement, je constate que Juan dort : c'est une bonne chose. Je m'approche alors de la porte, -j'y colle mon oreille sans faire de bruit -  d'emblée j'entends une voix faire un esclandre. Une voix que je reconnais que trop bien malheureusement. De concert, mes membres se mettent à trembler : j'ai l'impression que le sol va se dérober sous mes pieds.
Bordel ! On est foutu. Bordel. Bordel. Je suis littéralement foutue.

*Philippe le Beau est le père de Charles Quint

Fanfiction Les Mystérieuses cités d'or.Saison 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant