chapitre vingt-sept

223 9 0
                                    

— MANCHESTER
1990

VOILÀ UNE heure qu'Agatha avait commencé son épreuve et une heure que Kingsley regardait la télé en espérant que le temps s'écoulerait plus vite. Ça ne marchait pas.

  Ses examens s'étaient déroulés une semaine auparavant. Il attendait avec impatience les résultats et il était pratiquement sûr d'avoir réussi.

  Alors, voyant que les minutes passaient comme des heures, il s'était décidé à aller voir son père. Il avait pris sa voiture et avait roulé jusqu'au cimetière.

  Son père était parti il y a trois ans. Sa mère avait déjà rencontré un nouvel homme, que Kingsley ne pouvait pas voir. Pas même en photo. Il était arrogant, induit de lui-même et il n'avait aucun respect pour Kingsley. Le fils de cet homme avait le même âge que Kingsley, il était invivable. Il laissait traîner toutes ses affaires, appelait ses potes jusqu'à des heures pas possible. Quand il avait besoin de repos après la brasserie, Victor, le fils du copain de sa mère, n'en avait rien à faire. Il se prenait pour le roi de la maison étant donné que Kingsley passait de moins en moins de temps là-bas. Et c'est en parti pour ça qu'il passait la plupart de son temps chez sa petite-amie.

  Le métis passa les portes du cimetière, le cœur rempli de peine. Dès qu'il venait là, il avait toujours la même sensation : la nostalgie. Il avait envie de retrouver son géniteur, ne serait-ce que deux minutes. Pouvoir lui dire ce qu'il avait sur le cœur, en recevant une réponse.

  Un accident l'avait emporté. Le soir où Kingsley l'avait appris, sa vie avait basculé. Depuis ce jour, plus rien n'était pareil. Il n'était qu'un lycéen à cet époque. Il avait encore besoin de lui à ses côtés.

  Il arriva devant la tombe. Le nom d'Edinson Walton y était gravé.

Il enleva les quelques feuilles qui étaient tombées dessus d'un revers de main avant de s'asseoir sur l'herbe fraîchement coupé. 

  — Coucou, papa, commença-t-il.

Il avait pris deux ans à aller tout seul jusqu'à la tombe. Et il s'en voulait presque de ne pas avoir réussi à y aller plus tôt. Il ne voulait pas affronter la réalité.

— Agatha passe son concours d'admission. On est ensemble maintenant. Je t'avais parlé d'elle il y a un an. Enfin, je parlais juste tout seul devant une pierre.

Il laissa quelques larmes glisser le long de ses joues.

— Je sais que parler tout seul ici ne changera rien à tout ce qu'il se passe mais je veux juste que tu saches que tu me manques. Le copain de maman est un vrai salopard. Mais au fond, tu lui manques encore. C'est juste que lui est là et qu'il l'a quand même aidé à réapprécier la vie. Même si je ne l'aime pas, je le remercie quand même.

  Il réajusta le pot de fleurs qu'il avait posé quelques jours plus tôt.

  — J'espère que t'aimes ces tulipes. Je les ai pris chez ton fleuriste préféré. Tu voudrais peut-être que je te parle de moi. Alors je vais le faire. Je suis toujours à l'université, j'aime ce que je fais. Je suis en bonne voix vers la médecine, papa. Je vais réaliser mon rêve. Notre rêve. Tu te souviens quand on en parlait à table avec maman ? Tu disais toujours que si tu n'avais pas été prof d'histoire, t'aurais été médecin. Quoique, prof d'histoire c'est un métier qui avait l'air cool. Sinon, je vais bien. Je pense que j'ai trouvé ma paix intérieur. J'ai l'impression que depuis que j'ai rencontré Agatha, tout va mieux dans ma vie. Et maintenant qu'on est ensemble, c'est encore mieux. Ma vie serait parfaite si tu étais là. Agatha, elle m'a sauvé. Sans même le savoir. Tu me parlais de maman avec des étoiles dans les yeux. Je crois que j'ai trouvé la fille de qui je parle avec ces étoiles dans les yeux.

  Il se leva, essuyant d'un revers de main ses larmes. Il aimait cet endroit tout autant qu'il le détestait.

  — Je reviendrai bientôt, promis.

  Il lança un dernier regard vers la tombe avant de quitter le cimetière. Au moins, le temps était passé plus vite.

  Maintenant, il ne lui restait plus qu'à passer chez sa mère prendre des affaires pour la semaine.

  Il reprit sa voiture. Les dix minutes qui séparaient les deux endroits passèrent lentement. Kingsley voulait tout sauf être à cet endroit. Depuis que sa mère était avec ce mec, tout était différent. Ils avaient perdu leur complicité qui était pourtant si chère aux yeux du jeune homme. Cette complicité l'avait sauvé tant de fois. Mais maintenant, elle n'existait plus.

  Il se gara dans l'allée. La voiture de Victor était là. Mais il n'y avait pas la voiture de sa mère et de son copain. Ce fut un soulagement pour lui.

Le soleil mancunien ensoleillait enfin la journée du jeune homme. Il passa ses clés dans sa serrure dans l'optique de déverrouiller la porte, mais elle l'était déjà. Il fallait croire que Victor n'était pas très maniaque de ce côté-là.

Kingsley entra dans la maison, déjà pressé de pouvoir sortir. Il fronça les sourcils en voyant la masse amorphe que représentait Victor, sur le canapé. Ne travaillait-il pas ? Ce dernier se redressa avant de se tourner vers son invité surprise.

— T'aurais pu toquer, commença Victor avec un sourire hypocrite.

— Je suis encore chez moi ici, répliqua le métis d'un ton sec.

— Vu le peu de temps que tu passes ici, permets-moi d'en douter.

— J'habitais là avant toi, petit merdeux. T'as pas le droit de prendre ce ton avec moi.

— Oh, désolé, j'ai contrarié Kingsley, le fils à sa maman.

Ce dernier leva les yeux au ciel avant de prendre le chemin des escaliers pour retrouver sa chambre. Il prit les premiers vêtements qui lui arrivaient sous la main. Agatha était si généreuse de l'accueillir si souvent sous son toit.

Il les jeta dans un vieux sac de sport avant de le zipper, de le balancer par dessus son épaule et de quitter sa chambre. Il prit soin de la fermer à clé afin que Victor n'y vienne pas déposer ses petits doigts de sorcier. S'il touchait rien qu'un bibelot, ce serait dramatique. La chambre de Kingsley était son espace privé, son jardin secret où il voulait tout sauf être dérangé.

Il descendit les escaliers, lançant un dernier regard vers ce paresseux de Victor qui s'était déjà installé confortablement devant la télé. Il partit sans un mot. C'est clair qu'il n'était plus chez lui ici. Le seul endroit où il se sentait vraiment accepté était avec Agatha. Elle le respectait, le supportait... Elle était bourrée de qualités. Ses défauts étaient minimes en comparaison à ses qualités.

Publié le 09/09/23

𝐀𝐆𝐀𝐓𝐇𝐀'𝐒 𝐋𝐎𝐕𝐄𝐒Où les histoires vivent. Découvrez maintenant