chapitre trente-huit

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— MANCHESTER
1991

AGATHA ET Kingsley s'évitaient depuis deux bonnes semaines déjà. A la brasserie, ils essayaient de se croiser le moins possible. C'était inévitable, ils devaient discuter cartes sur table et dire ce qu'ils avaient sur le cœur. C'était insupportable autant pour l'un que pour l'autre de continuer comme ça : croiser le regard de l'autre et l'éviter comme s'il n'y avait rien eu entre eux et qu'ils avaient toujours été de simple inconnu.

  Assise sur son sofa, la jeune femme réfléchissait à ce qu'elle pourrait dire à son ex-copain. Elle allait se rendre chez sa mère à lui, et parler avec Kingsley.

  Elle ne lui en voulait absolument pas, mais on dirait qu'il ne voulait pas voir les choses sous cet angle. En vérité, il avait peur qu'il y ait une cassure entre Agatha et lui. Et il avait peur de la forcer à rester son amie alors qu'elle voulait partir. Il était complètement perdu et la seule solution rationnelle d'après lui était de l'ignorer pour essayer de passer à autre chose. Mission compliquée. Il n'avait pas envie de la réaliser mais il pensait que c'était la meilleure chose à faire.

  Elle avait un peu pleuré après la rupture, mais elle s'était déjà préparée mentalement à ce que leur relation se termine alors ça avait calmé les choses. La nouvelle de la sexualité de Kingsley n'avait pas été si dur à avaler. Mais elle ne voulait pas passer à autre chose. Elle s'était vraiment attachée à lui et ça la rendait malade de se dire qu'ils ne vivraient plus ensemble ou qu'ils ne se retrouveraient plus à la pause de midi pour se faire des bisous en cachette.

Après les cours, et après avoir déposé rapidement ses affaires chez elle, elle se rendit chez la mère de Kingsley. Il devait être là. La section de l'école de médecine avait déjà terminé les cours pour les examens de fin d'année. C'était les derniers du métis dans cette université avant de passer dans la vie active, accompagné de médecins agrégés pour le guider.

La brune avait encore une bonne semaine de cours devant elle avant d'elle aussi entamer deux semaines de révisions.

Agatha se gara dans l'allée de la maison de la mère de son ex-copain. Elle n'avait pas peur de le voir. Au contraire, elle était pressée de pouvoir parler à cœur ouvert avec lui.

Elle sortit de sa voiture avant de toquer à la porte. Elle inspira, expira, réfléchissant à tout ce qu'elle avait envie de lui dire. La porte d'entrée s'ouvrît sur Victor. Il fronça les sourcils en voyant la brune.

— Je croyais que c'était fini entre vous, déclara-t-il, sceptique.

— Ça l'est, assura-t-elle en entrant dans la maison après que l'hôte se soit décalé.

— Alors, tu fais quoi ici ?

— Il m'ignore. Je veux simplement qu'on parle. Il est dans le coin ?

— Je crois qu'il est avec quelqu'un.

Agatha pensa directement à Antony. Elle ne voulait pas le voir. Elle ne se sentait pas encore prête.

Victor se tourna vers les escaliers.

— Kingsley ! s'exclama-t-il. Descends !

Des bruits de pas se firent immédiatement entendre. La brune sentit son cœur se serrer en entendant les pas se rapprocher. Elle avait peur de perdre ses mots en sachant qu'Antony n'était pas très loin.

Kingsley s'arrêta en voyant Agatha. Comme s'il avait vu un fantôme. Puis il se reprit et descendit les dernières marches. Il lui adressa un léger sourire.

— Content de te voir, commença-t-il.

Elle hocha la tête, lui faisant comprendre que c'était réciproque.

— Je peux repasser, ça ne me dérange pas. Je ne veux pas déranger. J'aurais dû prévenir, c'est de ma faute.

Victor la regarda avant de lui tapoter le dos.

— Courage, Agatha. Je vous laisse tous les deux.

Puis il monta les escaliers, sans doute pour retrouver la grotte qu'était sa chambre. La brune aimerait bien la visiter un jour, juste pour voir à quoi elle ressemblait. S'il passait tant de temps à l'intérieur, c'est qu'elle devait être exceptionnel.

— Tu... T'es avec Antony ?

Le métis hocha la tête. Comment allait-elle réagir ? Il en avait un peu peur.

— Kingsley ! s'écria une voix à l'étage.

Les bruits de pas se rapprochèrent de plus en plus, jusqu'à descendre les premières marches. Agatha sentit son cœur battre un peu plus vite. Elle n'avait plus le choix. Elle allait devoir le voir de ses propres yeux.

Elle fixa le jeune homme, qui apparaissait doucement dans son champ de vision. Il était... beau ? C'était un grand brun, aux cheveux rasés. Il portait un marcel gris, et un jean large de la même couleur. Il avait une chaîne grise autour du cou. Son visage était paisible, il avait l'air gentil.

Il adressa un timide sourire à la brune. Lui aussi avant compris de qui il s'agissait. Et parfois, il se sentait coupable d'être la raison de leur rupture. Mais il ne se sentait pas vraiment coupable d'aimer Kingsley.

— Salut, fit Agatha avant de re-regarder le métis.

Le regard de la brune traduisait la tristesse. Elle n'était définitivement plus la copine de Kingsley. Il avait tourné la page.

Antony descendit les dernières marches avant de faire la bise à la jeune femme.

— Antony, enchanté, fit-il en reculant à la hauteur du métis.

— Je m'appelle Agatha, répondit-elle dans la précipitation.

— Tu voulais me dire quoi ? reprit le maître de maison.

— Je repasserai.

  Elle fit demi-tour avant de commencer doucement à marcher vers la porte d'entrée.

  — Attends, Ag'.

  Elle se stoppa dans son chemin et se retourna vers Kingsley.

  — Qu'est-ce que tu veux ? demanda-t-elle plus froidement qu'elle ne l'aurait voulu.

  Le métis se braqua, surpris par le ton qu'elle avait adopté.

  — En fait, c'est bon. Je voulais m'assurer que tu n'étais pas fâchée.

  — Fâchée ? répéta-t-elle.

  — Je ne t'avais pas dit qu'il était là et comme tu m'évites...

  — On s'évite, rectifia-t-elle sèchement. Je ne suis pas fâchée contre toi. Ce n'est pas de ta faute. Mais parfois j'ai l'impression que tu m'as prise pour une imbécile. Depuis quand tu ne m'aimes plus ?

  — Mais je t'ai-

  — Depuis combien de temps tu ne m'aimes plus ? répéta-t-elle d'une voix plus forte.

  — Je dirais quatre mois, chuchota-t-il.

  Elle regarda le plafond en soupirant.

  — Quatre mois que tu jouais la comédie en pensant que je n'allais rien remarquer.

  — Si j'évite de te croiser, c'est parce que j'ai peur. J'ai peur que tu ne veuilles plus que je fasse parti de ta vie. Alors je m'efface pour que ça me fasse moins mal. J'apprends à vivre sans toi, Agatha.

  Elle ne répondit pas.

  — Je veux que tu fasses parti de ma vie, Kingsley. Pour toujours.

  Il s'approcha d'elle avant de la serrer dans ses bras. Elle lui rendit son étreinte.

  — On se voit demain soir, à la brasserie.

  Il hocha la tête.

  — En revoir, Antony. Et en revoir, Kingsley.

  Elle se dirigea vers la porte et quitta la maison, le sentiment d'avoir agi de la bonne manière. Les épaules libérées d'un poids.

Publié le 21/10/23

𝐀𝐆𝐀𝐓𝐇𝐀'𝐒 𝐋𝐎𝐕𝐄𝐒Où les histoires vivent. Découvrez maintenant