chapitre quarante

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— MANCHESTER
1991

AGATHA SOUPIRA longuement, essayant de stopper le nombre incalculable de larmes qui dévalaient le long de ses joues. Il avait suffit que Clark parle de la récente séparation de Kingsley et Agatha pour que cette dernière fonde en larmes.

  Elle ramena ses jambes au niveau de son torse, se recroquevillant sur elle-même, sous les yeux inquiets de son amie.

  — Des fois, je suis méga triste et deux heures après, c'est comme si je m'en étais déjà remise. Et dans la soirée, ma peine revient. C'est insoutenable.

  Clark tapotait le dos de sa meilleure amie, ne sachant pas vraiment comment la réconforter. Dire des banalités du style « ça va aller », « tu vas t'en remettre »,... ne marchait pas pour Agatha. Elle trouvait du réconfort juste par la présence de son amie. Elle ne demandait qu'à être épaulée.

  — Mais le pire, c'est quand j'ai vu Antony, continua la brune, la voix brisée. Quelque chose s'est fissuré en moi. Je ne saurais pas comment te l'expliquer. C'est comme si le voir était le signe que notre relation était officiellement terminée.

  Déballer son sac. C'est tout ce dont Agatha avait besoin pour surmonter sa peine. Et Clark aimait écouter son amie parler de sa vie, tout en sachant que ça lui permettrait d'avancer. Elle savait que ça lui retirerait un poids des épaules.

  — J'aurais aimé ne jamais être tombée amoureuse de Kingsley.

  — Ne dis pas ça, rétorqua la blonde.

  Agatha leva les yeux vers son amie, l'air interrogateur. C'était la première fois qu'elle l'interrompait en dix minutes. Dix minutes de monologue.

  — Kingsley t'as rendu heureuse. Il t'a donné confiance en toi.

  — J'avais déjà confiance en moi avant de le rencontrer, répliqua Agatha d'un ton neutre, vide d'émotion.

  — S'il ne t'avais pas aidé financièrement, tu l'aurais perdu cet appart'.

  — Je ne l'ai pas forcé à me donner un coup de main.

  — Agatha ! Tu ne peux pas lui en vouloir d'être qui il est. Vous avez vécu de super moments ensemble. Retiens juste ça.

  — Il était plus là pour moi que ma propre famille l'était.

  Quelques larmes coulèrent à nouveau le long de ses joues.

  — Mes parents, ils sont là sans être là. On s'appelle pratiquement tous les jours mais, c'est différent. Depuis que j'ai quitté la maison, ça a changé. Ils me manquent, même s'ils ne sont pas réellement partis. Et David,...

  — T'as essayé de le rappeler depuis ?

  — C'est inutile. C'est lui le fautif, c'est à lui d'appeler.

  — Non, Agatha. Arrête d'être bornée à ce point-là. Les choses ne peuvent pas toujours aller dans ton sens. Les autres ne peuvent pas toujours faire le premier pas pour toi. T'as le droit d'arranger les choses, toi aussi. Attendre des années que les choses se réparent toutes seules, c'est inutile. Tu perdras juste du temps. Et ce n'est pas quand ton frère sera sur son lit de mort que tu devras te dire « ouais, j'ai peut-être merdé. » Tu devrais profiter avant que ce ne soit trop tard et que tu regrettes. Accepte que l'on puisse s'inquiéter pour toi, accepte que l'on puisse vouloir t'aider sans montrer de jugement. Accepte que l'on puisse t'aimer. Je t'aime, Agatha. T'es ma meilleure amie. Et pour rien au monde, je voudrais te perdre, OK ? Tu n'es pas seule. Je suis là. Tes parents sont là. David est là, même si tu veux en douter. Kingsley est là. Il t'aime. Et ce n'est pas parce que vous avez rompu qu'il a cessé de t'aimer. On est là, pour toi. Et t'es là, pour nous.

  Agatha resta muette quelques secondes, avalant tout ce que Clark venait de lui dire. Elle ne voulait absolument pas rappeler son frère mais c'est vrai qu'il lui manquait. Et elle savait que Kingsley ne l'avait pas abandonnée, mais il était trop tôt pour qu'elle réalise cela. Elle était encore tourmentée. Le sentiment d'être jugé, c'était quelque chose avec quoi elle avait l'habitude de vivre. Elle en avait tellement l'habitude qu'elle ne faisait plus vraiment attention. Elle se sentait toujours inférieure aux autres, à cause de son manque de moyens. Elle n'avait pas les derniers fringues à la mode, ou des bibelots coûteux pour habiller les meubles de chez elle. Elle avait peur que les gens soient là par intérêt. Elle était naïve. Et, parfois, elle ne comprenait pas qu'on puisse l'aimer à sa juste valeur. Elle n'était pas Jennifer Lopez, ou Madonna. Elle se sentait différente des femmes qu'idolâtraient les gens de son temps. Elle se disait qu'elle ne serait jamais comme elle.

  — Tu es parfaite comme tu es. N'essaie pas d'être meilleure. Ne te rabaisse pas. Sois toi-même. Et n'hésite pas à te remettre en question de temps à autre. A réfléchir, et à chercher des solutions. Tu as peut-être cette impression que ton univers se chamboule parce que tu t'éloignes de David et Kingsley. Trouve le moyen d'avancer et de reconstruire pas à pas ton univers. Pense à toi, avant de penser aux autres. C'est toi le soleil de ton système solaire. Et moi, je ne suis qu'une planète qui gravite autour du soleil.

  — Tu es Mercure, la planète la plus proche du soleil.

  Clark sourit.

  — Si tu le dis.

  Agatha se pencha vers sa meilleure amie avant de la prendre dans ses bras.

  — Je ferai des efforts, reprit la brune en se redressant. J'appellerai David.

  — Et Kingsley, tu ne le rayeras pas de ta vie. Il mérite mieux. Il a toujours été adorable avec toi. C'est dur pour lui aussi. Ce n'est pas facile d'avouer une chose comme celle-ci. Tu devrais saluer son courage et être là pour lui. Montrer que tu le soutiens au lieu de faire comme s'il n'avait jamais joué un rôle important dans ta vie. N'en veux pas à ce pauvre garçon. Si c'était ton cas, tu n'aurais pas aimé qu'on te lâche. Peut-être que son rôle ne sera plus aussi important, mais ne le supprime pas. Tu mérites le bonheur, la réussite. Et fais en sorte de mériter ces réussites.

  La brune hocha la tête. Elle essaierait de rendre les choses meilleures. Clark avait raison. Il fallait être acteur de son propre spectacle avant que celui-ci ne se déroule sous nos yeux.

  La blonde se leva du canapé.

  — Quelle sérieuse discussion, commenta-t-elle en se rendant dans la cuisine pour se servir un jus d'orange.

  — Tu m'en diras tant, fit Agatha en l'imitant.

  Clark se stoppa devant le vase transparent où Agatha avait plongé le coquelicot la veille, quand William était passé. Agatha avait passé de longues minutes à le contempler après le départ de William. Elle avait trouvé cette fleur magnifique. Plus spéciale que toutes les autres fleurs qu'elle avait pu voir dans sa vie. Et pourtant, elle savait très bien qu'elle venait du bas de son immeuble. Mais, peu lui importait, William lui avait quand même ramené ce joli coquelicot. C'était une intention remarquable qu'elle n'oublierait pas.

  — Qui t'as offert ce joli coquelicot ? demanda Clark en levant la tête vers l'hôte.

  — C'est William. J'ai beaucoup d'estime pour lui. J'ai de la chance de l'avoir.

  — Ecoute, c'est lui qui a de la chance de t'avoir dans sa vie, pas l'inverse.

  — Merci, Clark. Merci du plus profond de mon cœur. Des milliards de "merci" ne serviraient à te remercier pour tout ce que tu as fait, et que tu continues de faire pour moi. Je t'aime, moi aussi. Ne change jamais, j'adore tes leçons de morale.

  — Pourtant, tu fais toujours la tête quand je te les récite.

  — Mais après ça fait du bien au moral. C'est juste un peu humiliant sur le coup. En fait, c'est très humiliant, se corrigea-t-elle. Mais, au moins, ça permet d'avancer.

  — C'est pour entendre des choses comme ça que je te les fais.

  Agatha rigola. Avoir Clark dans sa vie était une bénédiction. Et ce jour-là, elle lui avait remis les idées en place. Concrètement, elle allait essayer ce que sa meilleure amie lui avait conseillé. Ses arguments étaient valables. David avait peut-être le droit à une nouvelle chance. Peut-être que cette fois, les choses se passeraient différemment.

Publié le 01/11/23

𝐀𝐆𝐀𝐓𝐇𝐀'𝐒 𝐋𝐎𝐕𝐄𝐒Où les histoires vivent. Découvrez maintenant