Chapitre 39 - Rebel

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Je ferme les yeux et prends une profonde inspiration, laissant complètement le champ libre à ma fougueuse partie lupine. Je lui laisse la liberté de se transformer, de courir, de sauter, de hurler.

Et pourtant, mon loup n'en fait rien. Je me retrouve là, à attendre devant la baie vitrée comme un idiot, les yeux clos et les muscles tendus dans l'attente d'une métamorphose. Sa résistance - où devrais-je dire son silence ? - me fait bégayer et j'ai même brièvement la tête qui tourne.

Je crois bien que ça n'était encore jamais arrivé. Mon loup qui ne saisit pas une occasion de prendre le contrôle et d'aller se dégourdir les pattes, c'est une première.

Est-ce qu'il... boude ?

Je soupire et passe une main sur mon front, exaspéré. Si même mon loup m'en veut à cause de ce qu'il s'est passé, je crois qu'on peut définitivement considérer que je suis seul. Il faut croire que mes mauvais choix ont fini par avoir raison de moi.

Je souffle pour une énième fois lorsque je sens ma sœur approcher, songeant qu'il ne manquait plus qu'elle.

Je l'ai bien compris, de toute façon - même en allant me terrer dans mon bureau, il est impossible d'être tranquille plus d'une demi-heure. Tout le monde a toujours un problème, et pense toujours que je peux le résoudre. Mais j'ai beau être l'Alpha, je n'ai pas de pouvoir magique. Au contraire, j'ai même parfois l'impression d'avoir deux mains gauches.

« Rebel. » fait Aglaë en débarquant, et le sérieux dont elle fait preuve m'interpelle et me fait oublier le fait qu'elle est entrée sans frapper. « On a un problème. »

Tandis que je reste planté devant la baie vitrée, attendant une suite qui n'arrive pas, elle va s'installer sur l'un des fauteuils en face de mon bureau sans me jeter un seul regard. Elle a l'air perdue dans ses pensées, en pleine réflexion.

« C'est important ? » je demande platement, actuellement peu amène à gérer les états d'âmes d'Aglaë. « J'allais sortir. »

« Je m'en fous. » répond-t-elle du tac-au-tac. « Nathaël a disparu alors quoi que tu aies eu l'intention de faire, tu le feras plus tard. »

Je hausse un sourcil avec scepticisme, songeant que c'est loin d'être la première fois que ma sœur perd son fils depuis le départ de Louve.

Tantôt il va nager dans la piscine avant même que le soleil ne se lève, tantôt on le retrouve paumé dans les bois parce qu'il cherchait le lac et qu'à mon grand désespoir, il est sans doute le loup qui a le moins le sens de l'orientation dans sa meute. Je ne savais pas qu'il était possible d'être autant à l'ouest, à vrai dire - mais bon, ça ne reste qu'un jeune enfant.

Quoiqu'il en soit, mon neveu ne va pas bien depuis le départ de Louve. Si mon âme-sœur n'a certainement pas cherché à lui faire du mal, c'est incontestablement l'un des plus touchés par sa disparition. Je crois qu'il avait vu en elle un moyen d'échapper au sérieux de sa mère et à la surprotection de la meute.

« Il est peut-être juste retourné au lac. » je suggère, et ce n'est pas idiot dans la mesure où ce serait la troisième fois qu'on l'y retrouve. « Ou à la piscine, qui sait. Tu le perds tout le temps, en ce moment. »

Ma sœur ouvre des yeux aussi ronds que des soucoupes et tourne lentement le visage vers moi, menaçante. Visiblement, ma remarque ne lui a pas beaucoup plus.

Il faut dire que j'y suis peut-être allé un peu fort. Quoi dire de mieux pour énerver une mère que de la décrire irresponsable ?

Mais je ne m'excuserai pas. Dans le cas de ma sœur, c'est un peu vrai. Elle aime son fils et il n'y a aucun doute là-dessus, mais son égoïsme fait barrage à la relation plus profonde, plus authentique qu'elle devrait avoir avec lui.

La louve et le rebelleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant