Épilogue - Sacha

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« Ne va pas trop loin. »

Nathaël roule des yeux et lâche un soupir, ce qui a le don de m'irriter.

« Roh, ça va... » râle-t-il tout en s'éloignant, se rendant certainement de l'autre côté du lac afin d'atteindre les parterres de narcisses. « J'ai plus cinq ans, P'pa. »

Je pourrais agir comme sa mère et lui crier dessus à chaque fois qu'il me répond, mais je n'en fais rien. Contrairement à la concernée, je sais le reconnaître quand j'ai tort. Mon fils aura douze ans d'ici trois semaines et sera le meilleur guerrier de la meute quand il aura réussi à me battre au combat rapproché – ce qui ne tardera pas à arriver. 

À l'évidence, il ne risque absolument rien. Alors je me contente de sourire et de secouer doucement la tête, amusé. Je ne l'ai pas vu grandir.

Alors que je marche jusqu'à la tombe en silence, tête baissée avec respect, je sursaute lorsque je réalise que quelqu'un s'y trouve déjà.

« Anaïs. » fais-je sans réfléchir, reconnaissant immédiatement la maigre femme aux longs cheveux platine.

Elle se tourne vers moi, semblant tout d'abord surprise, puis ses traits ne tardent pas à se détendre. Je me force à sourire, ne sachant quoi penser de ses joues rouges et de son maquillage endommagé par les larmes.

« Sacha. » murmure-t-elle à son tour. « Bonjour. »

D'abord hésitant, je finis par m'avancer et me cale à côté d'elle, posant à mon tour les yeux sur la tombe isolée et généreusement fleurie. Cachée sous un saule pleureur, elle a été placée à cet endroit parce que les deux personnes qui y reposent ont passé bien du temps près de ce lac.

« Est-ce que... tu tiens le coup ? » j'ose finalement demander dans un murmure, ne sachant que trop bien quelle sera la réponse.

Après la mort de Louve et Rebel, ma femme et moi nous sommes appliqués à prendre soin des personnes que ces deux-là ont laissées derrière eux. Etant donné que mon père a lui aussi disparu, succombant à la tentation de devenir un Sauvage, Anaïs en a été la première victime.

Elle s'est retrouvée seule du jour au lendemain. Sans son mari. Sans sa fille. Sans argent, sans travail, sans entourage, sans aide. Sans rien. Aglaë a immédiatement voulu lui faire intégrer la meute, bien que l'idée de faire venir une fragile humaine au cœur de notre forêt n'ait pas fait l'unanimité.

Mais elle a refusé et n'a jamais changé d'avis depuis. Quand les Bloodthirsty se sont officiellement liés aux Crawford pour ne former qu'une seule meute, la laissant absolument seule en ville, elle a de nouveau refusé. Aglaë l'appelle tous les ans à la période des fêtes pour prendre des nouvelles, et lui propose de nous rejoindre ou même de nous rendre visite à chaque fois – mais même chose, elle n'a jamais que refusé.

Peut-on vraiment lui en vouloir ? Je ne saurais dire si Anaïs a été heureuse ou malheureuse auprès de son mari et de sa fille, mais une chose est sûre au moins. Maintenant qu'ils ne sont plus là, elle regrette cette époque et vit d'autant plus mal sa solitude qu'elle n'inspire que de la pitié.

« Moi ? » fait-elle par à-coup, et je ne saisis pas tout de suite qu'elle est simplement en train de pleurer. « Ça n'a aucune importance. Je n'ai pas su rendre ma fille heureuse, je mérite bien ce qui m'arrive. »

Les mots de l'humaine me fendent le cœur. Aucun parent ne devrait avoir à faire le deuil de son enfant. Jamais, dans aucune circonstance.

Aussi, je ne sais quoi répondre à cette femme à qui la vie n'a pas fait de cadeau.

« Bien sûr que tu l'as rendue heureuse. » fais-je dans un murmure, moi-même un peu faible lorsque je me dois d'évoquer ma famille. 

« Non... » me contredit-elle aussitôt, secouant la tête avec énergie. « Non. Je ne me suis pas suffisamment intéressée à elle. Je voulais à tout prix qu'elle soit différente de moi, je voulais en faire une femme forte. »

La louve et le rebelleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant