Souvenirs d'un autre temps
Il recule d'un pas, la surprise éclairant ses traits, et secoue la tête, comme s'il n'en revenait pas.
— Aydan... murmuré-je, déjà en manque de lui.
Je ne veux qu'une chose : retrouver ses bras, son étreinte rassurante. Et pourtant, on dirait qu'il n'a jamais été aussi loin de moi. Moi qui viens juste de trouver un réconfort, une raison de vivre, m'en voilà déjà privée. Et ça fait mal.
— Tu en es certaine ? me demande-t-il du bout des lèvres.
J'aimerais tellement que ce soit faux. J'aimerais tellement que mes règles reviennent, que mon ventre arrête de grossir. Mais j'ai fait du déni pendant trop de temps, et je n'ai plus le choix d'assumer, même si ça me déchire le cœur.
Je ne veux pas d'une telle vie pour mon enfant. Je ne veux pas qu'il vive dans ce monde ravagé, où l'espoir s'éteint peu à peu, où le désespoir vous ronge les tripes avant de vous saigner à mort. Je ne veux pas qu'il ait un père comme Ramay. Tout sauf ça.
Pourtant, c'est son futur, puisqu'il n'y a aucun moyen d'arrêter ce début de grossesse. Pas depuis des années. Je suis condamnée à délivrer une vie de douleur et de misère à un enfant. Et ça me fait mal à m'en donner des cauchemars la nuit, à m'en faire pleurer le jour.
— J'ai besoin de toi, Aydan, murmuré-je.
— Ramay le sait-il ? se contente-t-il de me questionner, la voix grave et basse.
Je ne parviens pas à déchiffrer son expression, redevenue neutre. Il se cache derrière un masque d'impassibilité, pourtant il ne me trompe pas : il n'est pas le monstre d'indifférence qu'il prétend être.
— Non, il n'est pas venu ici depuis longtemps.
Mon estomac se serre. Je n'aime pas ce que je vois et entends. J'ai l'impression de le perdre petit à petit. Me savoir enceinte de son propre frère ne doit pas être la meilleure des nouvelles à entendre, mais sait-il seulement à quel point j'ai besoin de lui ? À quel point j'ai peur ?
— Tu le voulais ?
Mon cœur se brise une fois de plus.
— Bien sûr que non ! réponds-je, blessée par son attitude.
Ce n'est pas moi qui suis à blâmer. Je ne fais que subir, subir, subir.
— Il m'y a forcée, comme les autres fois.
Aydan tressaille. Il a toujours su que Ramay me maltraitait, même je ne lui ai pas tout dit. Je ne veux pas qu'il ait pitié de moi. Je ne veux pas qu'il me voit comme une pauvre petite chose.
Je continuerai à me battre jusqu'à la fin.
— Tu penses que tu pourrais trouver des herbes... commencé-je, hésitante.
— Il n'y en a plus depuis longtemps, Eldéa, et tu le sais très bien.
Coup au torse. Bien sûr qu'il n'y en a plus dans la région. L'arrivée des monstres a rendu les lieux désertiques, la verdure a presque entièrement disparu. Et si Aydan a la capacité de faire pousser les plantes de notre propre serre, pour nous nourrir, il ne peut créer ces herbes. Il en est incapable.
Quel cruel tour du destin. C'est comme si Mère nature se moquait des femmes prise avec une grossesse indésirée et souhaitait les forcer à repeupler la terre. Pourquoi ne pas nous laisser nous éteindre ?
Il doit bien avoir d'autres solutions. Je ne suis sûrement la seule femme qui ne veut pas accoucher d'un enfant dans ce monde au bord de la destruction...
— Il y a peut-être un commerçant quelque part, dans un village encore debout, qui...
Aydan comble l'espace qu'il avait créé en avançant d'un pas avant de me prendre avec force par les épaules. Cette fois, il n'y a pas de tendresse. Ses traits sont devenus durs, fermés. Il a abandonné.
— Il n'y a rien à faire. Et non, je ne peux pas non plus t'aider avec mes pouvoirs, ajoute-t-il sèchement. Je risquerais de te tuer...
— Ce serait peut-être mieux...
Je n'ai même pas fini ma phrase qu'il m'interrompt :
— Ne dis jamais ça, Eldéa ! Tu mérites de vivre, tu le mérites plus que tout au monde. Je suis désolé d'avoir brisé cet équilibre que tu avais... je suis désolé d'en avoir voulu plus...
Mes sourcils se froncent. De quoi parle-t-il ? Sa présence est la seule chose qui me fait sentir bien, la seule raison pourquoi j'ai la force de me lever chaque matin.
Aydan recule d'un pas, puis d'un autre. Et c'est à ce moment que je comprends que je viens de le perdre.
— Oublie-moi, s'il te plait, murmure-t-il sans oser me regarder dans les yeux.
Il ouvre la porte et s'enfuit.
Il est parti.
Au fond de moi, je sais qu'il ne reviendra jamais.
Qu'il m'a abandonnée avec le plus grand de tous les monstres.
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Les Spectres Oubliés
FantasyEldéa se réveille, sans souvenirs, dans un château vide... Enfin, presque vide. Le maitre des lieux, Aydan, un homme aussi mystérieux que détestable, y vit, seul. Il lui interdit de sortir du manoir, la condamnant à une existence morne. Mais c'est s...