Chapitre 3

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Les yeux de Lyana s'agrandissent de stupeur et je sens un malaise se créer entre nous.

Quoi ? Qu'est-ce que j'ai dit de si étrange ? Je n'ai pas le droit de vouloir venger ma famille ? Je n'ai pas la permission de trouver l'assassin de mon père ? Le meurtrier de ma petite sœur ? Le tueur de ma mère ? Si, bien sûr que si !

Alors pourquoi est-ce que Lyana me regarde de cette façon ?

Je me recule, posant les plats sur la paillasse avant de glisser une main contre son bras, d'un geste doux, qui se veut rassurant.

— Ne t'inquiète pas pour moi, tout ira bien. Tu dois me comprendre, non ? J'ai tout perdu. Je vis avec des fantômes depuis six ans.

— Mais tu risques de faire une bêtise, Synt. Tu gâches ton quotidien, à rester enfermée ici, à construire ta vengeance.

— Parce que tu crois que ma vie n'est pas gâchée là ? j'explose, une lueur de fureur s'allumant dans mon regard. Tu crois vraiment que je suis heureuse en ce moment, que j'ai un but ? Je vends des pompes dans un magasin ! Je n'ai plus rien ! Alors la « bêtise » dont tu parles ne risque pas de gâcher quoi que ce soit !

Le regard peiné de Lyana me fait reculer mais n'atténue pas ma colère. Si même elle s'y met...

— Tu te trompes, Syntara. Tu m'as toujours moi. Ce n'est peut-être pas suffisant pour que tu le remarques mais je suis là. Je suis là depuis le début et j'ai besoin de toi, moi aussi.

Je déteste la sentir aussi blessée, de voir dans ses yeux bleus ce pâle reflet de tristesse. Mon cœur se presse dans ma poitrine, alors que les mots de mon amie tournent en boucle. C'est la première fois, en six ans, qu'elle me dit cela. La connaissant, la peur a pris le dessus car, sinon, elle ne se serait jamais permis une telle remarque.

Alors, sans réfléchir, je lui promets. Je lui assure que je ne resterai pas terrée, que je ne me laisserai plus aspirer. Et, d'une voix tremblotante, je lui murmure :

— Je ne chercherai pas non plus à me venger...

Je déteste lui mentir mais je ne peux pas faire autrement.

Depuis le pas de la porte, je l'accompagne du regard alors qu'elle quitte la maison. La voir partir est toujours un crève-cœur mais, aujourd'hui, j'en suis plutôt soulagée. Tout le reste de notre journée n'a été rythmée que par des conversations sans intérêt, dans lesquelles je me sentais perdue. Je n'arrêtais pas de penser au fait que je la trahissais.

Pour servir ma famille.

Car oui, j'ai pris ma décision.

Je ne vais pas rester plantée là, elle a raison. Reprendre ma vie en main est dans mes plans. Mais pas avant d'avoir trouvé le meurtrier. Me venger est devenu ma top priorité. Il faut simplement élaborer le plan parfait.

Et ce n'est pas en étant dans cette maison vide que cela va arriver.

Aller faire un tour, me changer les idées et peut-être passer la nuit dehors ne pourra que me faire du bien. Tout pour ne pas avoir à rester dans cette maison de malheur, en fait.

Ma veste en cuir déjà sur les épaules, je me faufile à l'extérieur comme lorsque je cherchais à faire le mur sans que mes parents s'en aperçoivent. C'est amusant, je n'ai jamais perdu cette habitude. Toujours discrète. Toujours secrète.

Pendant plusieurs heures, j'ai l'impression d'errer dans la ville sans faire vraiment attention à l'endroit où je vais. Je laisse mes pensées divaguer, je laisse mes pas me porter et je m'abandonne au tourbillon de sentiment qui m'envahit.

Mémoire PerdueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant