Mémoire Perdue

Chapitre 50

Bip. Bip. Bip.

Bip. Bip. Bip. Biiiiiiip.

Bip. Bip. Bip. Bip. Bip.

Chris est endormi à mes côtés. Il est recroquevillé sur une chaise, une couverture couleur coquille d'œuf jetée en travers de son torse. Le sommeil lui va habituellement bien mais, là, quelque chose dans son expression me chiffonne. Il a comme une barre entre les sourcils, un air tendu qu'il n'arbore quasiment jamais.

J'aimerais parler mais ma mâchoire refuse de bouger. Ou plutôt, la douleur me paralyse. C'est comme si...

— On t'a opérée, murmure Lyana depuis la porte.

Elle tient dans sa main deux tasses fumantes. Derrière elle, une infirmière s'est postée et attend de pouvoir passer. Ce n'est que là que je comprends : nous sommes à l'hôpital.

Non.

Je suis à l'hôpital.

Yeux baissés sur la couverture rêche, je prends lentement conscience de tous mes souvenirs. Les cris des agents après qu'ils aient tirés. Le bruit d'une fenêtre qui se brise. Un corps qui tombe en chute libre. Moi, roulée par terre, un trou béant dans le ventre. Des ordres. Tellement d'ordres, lancés par-dessus le chaos.

— Tu avais une fracture de la mâchoire modérée. Ils ont « juste » eu à te la ligaturer. En gros, si tu veux, tu as la bouche remplie de fils métalliques, qui tiennent ta mâchoire en place. Et plein d'autres fils dans le bide, aussi. Ils t'ont recousue.

Je souris face à la simplicité avec laquelle ma meilleure amie m'explique tout ça. Rien ne semble plus naturel pour elle que les opérations que j'ai subies. L'infirmière derrière elle sourit aussi. Ils ne doivent pas être habitués à autant de calme, face à des blessures comme les miennes.

Il faut croire que Lyana en a trop vu par le passé pour être choquée de ce qu'il m'est arrivé.

Cela ne l'arrête pas non plus d'être pénible alors qu'elle s'avance et réveille Chris d'un coup de pied dans le tibia.

— Tiens, mon grand. Ton café. Ta meuf est réveillée.

— Hmmm ? Oh ! Syntara !

Brusquement redressé, Chris s'approche de moi. Il n'ose pas me toucher mais ce n'est pas l'envie qui lui manque, c'est certain. Il me prend donc la main et, tout délicatement, la porte à ses lèvres.

Personne n'a jamais été aussi doux avec moi.

Je suppose que manquer de mourir attendrit un peu les gens.

— Snavelly... ?

Le nom ressemble plus à un croassement mais tout le monde comprend. Même l'infirmière qui vérifie mes constantes. Elle se fige dans un geste, avant de recommencer avec un peu plus d'entrain, un peu moins de lenteur. Comme si elle cherchait à fuir au plus vite cette pièce, maintenant chargée de questions.

Chris, lui, fuit mon regard. Il continue ses baisers sur ma main, ainsi que sur mon poignet, mais ne trouve jamais le temps de répondre à ce que je viens de demander. Quel lâche.

Je tourne la tête vers Lyana dans l'espoir de trouver mes réponses mais l'infirmière la coupe avant qu'elle n'ait même ouvert la bouche.

— Vos constantes vitales sont bonnes, mademoiselle Daleray. Vous pourrez sortir dans quelques jours, le temps que votre cicatrisation commence vraiment. Vous serez obligée de garder le lit chez vous, néanmoins.

— D'accord. Merci.

Encore une fois cette voix rocailleuse et hésitante. Ma bouche est en compote après tous ces traumatismes physiques.