Chapitre 6

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Une pluie fine recouvre les fenêtres alors que je suis postée devant.

Face à moi, le néant. Était-ce aussi vide par le passé ? Je crois que oui. La présence de ma famille rendait simplement l'environnement plus accueillant. Maintenant, je ne fais plus que face à la forêt noire, sans la moindre lueur d'amour pour l'égayer.

Le rideau rabattu contre la fenêtre pour me cacher cette vue, je m'écarte légèrement de l'endroit où je me tiens. Depuis ma nuit avec Chris, je ne suis quasiment pas sortie. Manque d'envie, manque de motivation également. Le travail attendra.

La vie aussi.

C'est sûrement pour cela que je me sens attirée par le salon. Engloutie par mes pensées noires, je m'installe en plein milieu de la pièce, assise en tailleur sur le tapis. Autour de moi, rien. Plus de canapé. Plus de table basse. Plus un seul CD ou DVD. Juste le tapis et les grandes baies vitrées.

Je me sens minuscule, dans cet endroit si vide. Il me serait presque possible d'entendre les rires de Lyzzie résonner ou ma mère chanter.

Les fantômes du passé viennent m'assaillir, alors que je repense à nos doux repas du dimanche, durant lesquels nous étions toujours en famille. Dans mon esprit, ma sœur court devant la télévision, pour m'empêcher de la regarder. Mon père passe sa tête depuis la cuisine et lance « plutôt oignon ou ail pour la sauce ? ». Bien évidemment, au lieu de lui répondre, je préfère crier sur Lyzzie. La tirer brusquement sur le canapé et l'étouffer avec ma main. Rire quand elle tente de se débattre et d'échapper à ma poigne.

« Les filles ! Ail ou oignon ?! »

« Oignoooon ! »

Nous répondons en cœur.

Sauf que, dans ce salon, seule ma voix s'élève aujourd'hui. En entendant le son se répercuter sur les murs, je suis prise d'une furieuse envie de fuir. Je trébucherais presque sur mes pieds en me relevant mais, heureusement, mon manque d'équilibre légendaire ne s'exprime pas aujourd'hui.

En moins de trois secondes, je suis dehors. Comment puis-je encore me faire avoir par mes propres souvenirs ? Ne suis-je pas censée avoir oublié tout cela après six ans ? Pourquoi m'infligé-je cela, quand autant de temps est passé ? Mon flot de pensées est aussi rapide que ma respiration. Serait-ce le moment pour moi de quitter la maison ? De tout laisser derrière moi ? Les bons comme les mauvais moments.

Je ne sais pas ce que je désire le plus mais, en attendant d'avoir les idées claires, mieux vaut fuir. Et, heureusement, j'ai la parfaite échappatoire en tête.

Lyana m'a relancée plusieurs fois pour ce cours de self-défense, malgré ma volonté de faire profil bas. Vu les nombreux messages laissés sur mon répondeur, j'ai compris que l'entraînement se passait tous les matins à 10h45.

Je suppose que le destin vient de me pousser à m'y rendre. Même si je ne connais ni le nom de l'entraîneur, ni les exercices que l'on me donnera ou la manière dont on me les fera faire, je suis prête à prendre le risque. Car rien ne sera pire que de me trouver dans cette maison. Dans ce salon.

Dehors, la bruine me glace le visage mais le chemin n'est pas long. Au pire, j'arriverai avec les cheveux mouillés. What a big deal, huh? Puisque je ne compte draguer personne pendant ce cours, je pense pouvoir débarquer avec une sale tronche. Ou un tee-shirt collant.

Oups.

Cela fera plaisir aux participants du cours.

Je hausse les épaules et ouvre la porte du gymnase sans m'attarder, rejetant mes cheveux juste à temps pour apercevoir...

Mémoire PerdueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant