Chapitre 10

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J'ai longtemps hésité avant d'entrer dans ce bureau.

Après tout, je n'étais pas obligée d'y aller, je pouvais toujours choisir de faire demi-tour et d'abandonner mes résolutions. Sauf que je n'ai pas vraiment ce loisir, au vu de ma situation. La peur au ventre, je toque à la porte et une voix masculine me répond.

Elle est vibrante, attirante et incroyablement intimidante.

La voix idéalement politique.

Comme l'être entier qui me fait maintenant face, alors que je tiens encore la poignée.

James Jones se tient bien droit, stylo encore en main. La lumière dans son dos fait ressortir les lueurs blondes de sa chevelure et cache les traits de son visage. C'est drôle, je l'imaginais plus grand. Et moins jeune. La télévision doit jouer.

Comme tout bon politicien qui se respecte, il boutonne sa veste en son centre et me tend la main après avoir remis convenablement ses boutons de manchettes. Je souris en voyant cette manie, un million d'idées me venant déjà à l'esprit, puis lui serre la main pour le saluer.

— Syntara Daleray... Je ne pensais plus vous voir, je dois l'avouer. Je croyais que ma lettre ne vous avait pas convaincue. Toutes mes condoléances pour votre famille.

Je baisse les yeux, gênée qu'il puisse me parler d'eux ainsi, six ans après les faits. Comme si leur mort pouvait lui faire quelque chose, après tout ce temps. Je me souviens parfaitement de son absence à l'enterrement, malgré le mot qu'il m'avait envoyé. Mes souvenirs sont tout à fait intacts et je ne compte pas oublier que, qu'importe l'amitié qui a apparemment lié James Jones et mon père, le Président n'a jamais rendu hommage à ma famille.

— Merci de l'évoquer mais je doute être là pour cela, je me trompe ?

Il arque un sourcil en entendant ma réponse. Ma voix a dû être un peu trop cassante à son goût. A moins que ce soit le sourire que je lui sers ? Je n'en sais rien mais, en tout cas, cela ne l'arrête pas.

Tout en se rasseyant, il me montre un siège et défait sa veste de costume. Il a repris son stylo et me dévisage maintenant avec l'air amusé. Comme si parler de la mort de mes parents pouvait me faire plaisir.

— Coriace à ce que je vois... Non, vous avez raison, vous n'êtes pas ici pour parler de votre famille, aussi regrettable que soit leur perte pour notre ville. Non, j'ai demandé à vous rencontrer car j'ai cru comprendre que vous seriez un élément essentiel pour ma campagne. Votre CV nous était parvenu, il y a de ça plusieurs années. Vous étiez en plein dans des études de communication et marketing, c'est bien cela ?

J'approuve d'un signe de tête, essayant de repousser ma furieuse envie de le frapper et de m'enfiler un verre d'alcool à brûler. Il n'a pas tort, j'étais bien lancée sur cette voix avant l'assassinat. Je n'ai simplement jamais terminé. Manque d'argent. Manque de possibilité.

Heureusement, James Jones n'a pas l'air au courant. Et je ne compte pas le lui confier. J'ai terriblement besoin du poste qu'il compte me proposer. Je joue donc la parfaite petite communicante, en me plaquant un sourire hypocrite au visage, en croisant les jambes et en hochant la tête à la manière d'une poupée.

— Bien. Je suis ravi que ça n'ait pas changé. Vous travaillez quelque part en ce moment ?

— Ça et là. Je n'aime pas être rattachée à une seule entreprise.

— Aaaah ! Une indépendante. Parfait. Vous allez avoir l'esprit que je recherche, c'est certain. Mais je ne peux malheureusement pas me baser seulement sur mon instinct. Mes équipes m'en voudraient trop. Et si vous m'analysiez ? Faites-moi un récap' de ma carrière. Montrez-moi ce que vous feriez pour que ma campagne fonctionne et que je sois réélu. Je ne suis plus tout jeune, dans l'esprit des gens. 37 ans, en politique, ce n'est pas vieux mais quand on a déjà été Président une fois...

Mémoire PerdueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant