Chapitre 34

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Installée dans les bras de Lyana, je tente tant bien que mal de retenir mes larmes. Cela fait des années que je n'ai pas pleuré pour quelqu'un d'autre que ma famille. Leur perte a été trop immense pour que je puisse ressentir la moindre chose ailleurs.

Mais il faut croire que le processus de guérison a commencé. J'ai beau ne pas prendre ma santé mentale en main, je reste capable de progresser, apparemment. Ce doit être grâce à l'alcool en moins. Ou simplement à l'amour qui a lentement grandi entre Chris et moi.

Amour qui va devoir disparaître, si j'en crois la dernière conversation que l'on a eu.

— Chhh, tout va bien. Tout va bien. Ce n'est rien.

Lyana me caresse les cheveux alors qu'elle me dit cela. C'est drôle, nous avons rarement partagé de tels moments, où l'une d'entre nous se retrouve brisée sur les cuisses de l'autre. Il a fallu que cela tombe sur moi.

Est-ce parce qu'elle a été habituée plus jeune à l'horreur et à l'abandon ? Ou est-ce car j'ai trop longtemps retenu la barrière fermée ?

Un mélange des deux, sûrement. Nous avons toujours su, Lyana et moi, qu'elle était de toute façon plus forte. Plus cassée aussi. Amusant, comme deux notions aussi différentes peuvent ainsi consolider un être.

Moi, je suis simplement cassée. C'est pour cette raison que je pleure sur son canapé.

— Il n'a pas compris. Il n'a pas du tout compris. Pourquoi il m'écoute pas ? C'est injuste. J'ai tout fait. Tout fait. Il n'a pas compris ce que je lui disais. Il m'écoutait même pas. Il était...

Mes sanglots prennent le dessus. Ils sont moches, plein de morve et de douleur. Plein de désespoir, aussi. Je me sens ridicule de pleurer pour un homme. Pour un mec avec qui je ne suis même pas censée être en couple.

Cela ne m'empêche pas d'imbiber le jean de ma meilleure amie, ni de perdre mon souffle à force de renifler.

Dans ma tête, la scène se joue encore et encore. Ses mots me percutent, son air blessé m'assomme. Je n'ai qu'à fermer les paupières, appuyer sur play et revivre le tout. Je l'entends encore s'étrangler : « Mon père ? Un meurtrier ? Mon père ?! »

Je reste immobile, je le laisse s'exclamer. « Mais où es-tu allée chercher une idée pareille ?! »

Il agite les bras, fait les cent pas. Il se comporte comme un fou, à qui on aurait annoncé une mauvaise nouvelle. Ou seulement comme à un homme, écoutant une folle accuser son père d'être un assassin.

— Qu'est-ce que tu lui as dit, me demande Lyana dans un murmure, pour qu'il s'énerve autant ? On l'entendait depuis le gymnase.

Lentement, je me redresse. Des mèches me collent au visage, je m'essuie le nez d'un revers de manche. Lyana souffle un ou deux « je suis là » supplémentaires pour m'apaiser. Elle est attentive au moindre changement. Je vois rouge mais cela ne m'empêche pas de rester un moment silencieuse. A croire que je suis incapable de parler de ce qui ne va pas, alors même que je pleure depuis une demi-heure.

Mes larmes, au moins, se sont taries. Le fait que Lyana me parle, m'entoure de ses bras et me soutienne calme les battements erratiques sur ma peau. Je n'ai plus la sensation d'être en dehors de moi-même, je ne suis plus exténuée de tristesse. Je suis simplement connectée à la personne qui me fait face, et me permet d'oublier ma peine.

C'est une chance de l'avoir trouvée. D'avoir poussé les portes de ce club de soutien, et de ne l'avoir quitté qu'avec elle à mon bras.

— Je... Je lui ai... On parlait de...

— Respire, Syntara. Prends ton temps pour te calmer. Quand ce sera fait, tu m'expliqueras.

— On parlait de ma famille, reprends-je après avoir suivi son conseil. Je lui ai dit que l'enquête était rouverte grâce à James, que c'était pour cette raison, notamment que nous étions aussi proches. Je voulais lui expliquer que de plus en plus de pistes nous amenaient à penser qu'au moins deux personnes étaient liées au meurtre : un assassin et une tête dirigeante.

Mémoire PerdueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant