Chapitre 46

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Nous passons plusieurs heures à faire de la spéléologie. De temps en temps, je retombe sur des souvenirs, intercalés dans des dossiers. Une photo de la famille à un pique-nique. Le bracelet d'amitié que j'avais offert à mon père à mes sept ans. Un ticket de théâtre, avec inscrit au dos « A + J = 4ever ».

— Regarde. C'est un souvenir de mes parents. J pour Jane, A pour Absalon. On dirait des gamins de dix-sept ans, quand tu lis ce qu'il y a écrit.

Je tends ce qu'il reste de leur relation à Chris, sourire aux lèvres. Au fond de ma gorge, une boule s'est logée. Pourtant, mes yeux ne sont pas humides. Il n'y a que l'émotion de retrouver des vestiges de leur vie qui me submerge.

Chris doit le sentir puisqu'il presse son épaule contre la mienne tout en observant ce que je lui montre. Il sourit très légèrement, avant de déposer un baiser sur ma joue et de se replonger dans les recherches.

De mon côté, je prends une photo, que j'envoie à Lyana pour qu'elle découvre avec moi nos trouvailles. Puis, comme Chris, je finis par reporter mon attention sur les documents. 

Il a raison, nous avons des choses à faire. Je ne devrais pas me laisser ralentir par des souvenirs. Je glisse donc le billet dans une boite près de mes pieds et c'est là que je le remarque. Un boitier noir, ensevelie sous les papiers. Seul le cordon dépasse mais pas besoin d'être un génie pour comprendre ce dont il s'agit.

— Je l'ai. Je crois que je l'ai.

Tremblante, j'hésite encore à me pencher pour sortir le disque dur externe de la boite que Chris est déjà en train de le brancher à son ordinateur. Je suis tous ses gestes, comme si cela pouvait m'apaiser. En l'occurrence, ça ne fait que faire battre mon cœur plus rapidement.

Le temps paraît s'étirer sur une éternité avant que nous ne parvenions à entrer dans le disque dur. Ça charge et ça charge et ça charge...

Jusqu'à ce que le premier fichier apparaisse enfin.

Il porte le nom très précis de « Kalis Westmor ». Difficile de se tromper là-dessus.

Chris s'apprête à cliquer dessus quand de nouveaux dossiers s'affichent enfin.

— Attends !

Mon cri résonne dans la maison quasi vide mais rien ne détourne mon attention du nom que je viens de lire. Mauricie Juliardy.

Juliardy ?

Je l'ai déjà vu quelque part. Je l'ai...

Soudain, des flashs me reviennent. Mais oui, bien sûr ! C'est l'un des dossiers qui était relié à celui de ma famille. Juliardy, un autre assassinat sans réponse. Sans survivant, surtout. Personne pour chercher à comprendre. Pour vouloir les venger.

— C'est bien ça. Tout est lié. J'aurais dû le savoir.

— Savoir quoi ?

— Snavelly a tué bien plus de gens qu'on ne le pense. Et tous ces noms... Tous ces gens sont morts parce qu'ils savaient quelque chose. Ouvre le dossier Westmor. Je veux voir.

Chris s'exécute.

Dedans, des dizaines de fichiers. Des photos, pour la plupart. Nous les ouvrons toutes une à une, les analysons comme nous pouvons. Ne pas être experts dans la matière nous empêche d'aller vite mais au moins, les informations s'intègrent lentement dans mon esprit.

Nous avons sous les yeux le rapport d'autopsie de Kalis Westmor. Des tonnes de chiffres sont inscrites sur le papier, des données médicales, des lignes en gras.

Tout bas, comme si je craignais qu'on nous arrête si je le dis trop fort, je souffle :

— Chris... C'est quoi le poison qu'on donne aux gens pour faire croire à une crise cardiaque ?

— Hmmm... le titane ? Non, le mercure.

— Hg...

Je tapote de mon ongle sur l'écran, là où le symbolique chimique ressort le plus. Les chiffres explosent sur cette ligne, montrant logiquement que Kalis Westmor y a fait une intoxication. Pourtant, personne n'a jamais évoqué cela.

Tout simplement parce que l'information a été effacée, vu le deuxième document - falsifié - que nous trouvons dans le dossier.

Chris me jette un regard horrifié et se lève d'un coup. L'homme d'action est déjà en mouvement.

Ordinateur sous le bras, disque dur glissé dans la poche de sa veste, il m'entraîne vers la sortie sans me laisser le temps de reprendre mes esprits. Nous avons la preuve idéale pour démasquer Snavelly.

Elle a empoisonné son mari.

Marise Snavelly a empoisonné son mari.

— Et les autres ? C'était qui cette Mauricie par exemple ?

— La médecin légiste. J'ai vu son nom sur l'autopsie. Avance plus vite, Syntara. On doit se barrer. On doit aller voir la police. Je sais pas comment on a fait pour trouver ce disque dur mais maintenant qu'on l'a on doit plus le lâcher. 

— Oui. Oui, c'est sûr. Pourquoi tu crois que personne n'est venu le chercher avant ? Ils devaient savoir qu'il était là. 

— Le disque dur ? Oui, sûrement. Mais vu que tu étais dans la maison, et que le système de sécurité avait été installé, ils n'ont pas dû oser. Et puis, tu n'étais pas une menace avant cette année. Ils n'ont pas dû se méfier.

— Peut-être. C'est possible, après tout, avec Lyana, on était tou... Mon sac ! J'ai oublié mon sac.

Je commence à faire machine arrière mais Chris m'attrape par le bras. En apparence très calme, je vois clair dans son jeu. Ses épaules ne sont pas du tout détendues, tout comme sa respiration qui est un peu hachée.

— On a pas besoin de...

— Mais si ! Si, j'en ai besoin. Je reviens, ok ? Je reviens tout de suite. Bouge pas.

Je me précipite vers la maison, agitant la main par-dessus mon épaule pour rassurer Chris. Il faut juste que je récupère ce fichu sac et nous pourrons ensuite nous sauver. Ce n'est pas comme si, en deux mètres, il pouvait m'arriver quelque chose. Si quelqu'un s'était trouvé à l'intérieur quand nous y étions, nous nous en serions rendu compte.

Je fonce donc à travers les pièces sans vraiment faire attention. Le bureau de mon père est resté allumé. Dans la précipitation, nous avons dû oublier d'éteindre.

Pourtant, je me souviens du dernier geste de Chris dans cette pièce. Appuyer sur l'interrupteur. Voilà ce qu'il a fait, avant de m'entraîner à sa suite.

J'ai à peine fait trois pas dans le bureau que quelque chose me tombe sur la tête. Un vase, une statuette, l'arrière d'un couteau... Je n'en sais rien mais je m'effondre à la suite du coup.

Bon... C'est pas très très bien parti pour Syntara, là je crois...

Tu en penses quoi ? Tu sais ce qu'il va lui arriver ?

Mémoire PerdueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant