Chapitre 15

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Installée dans un bar non loin du bureau, je saisis le verre que le serveur vient de poser devant moi et le porte à mes lèvres. Le liquide laisse un chemin de feu dans le fond de ma gorge et je tousse un peu, surprise par cette sensation. Qu'avais-je commandé pour que ce soit si fort ?

Je me redresse légèrement, essayant de reprendre contenance sans y parvenir vraiment. Je recommande un verre d'un signe de tête, avant de la rejeter en arrière. La couleur de mes cheveux, d'un rouge étincelant maintenant que la coloration s'est un peu posée, jure avec ma tenue stricte de travail. Je sais qu'arriver avec cette tête dans les bureaux de James Jones n'était pas ma meilleure idée. Je n'ai néanmoins pas réussi à me résoudre d'abandonner cette teinture.

Je me souviens encore du jour où je l'avais faite pour la première fois. J'avais seize ans, je me disputais constamment avec ma mère et, surtout, je ne trouvais pas mon équilibre dans ma famille. Elle disait toujours que je n'étais pas la fille qu'elle aurait souhaitée avoir. Ce jour-là, elle était allée jusqu'à dire que je n'aurais pas dû faire partie de cette famille.

Je m'étais sauvée dans la seconde qui avait suivie.

C'était mon père qui m'avait retrouvée quelques heures plus tard, cachée dans un arbre, comme une enfant sauvage.

« Et si on la rendait totalement folle ? » m'avait-il dit à l'oreille en gloussant comme il gloussait toujours en ma compagnie.

Je n'avais pas compris tout de suite ce qu'il voulait faire alors j'avais demandé plus de détails.

« Tu n'aimes pas tes cheveux, tu as toujours voulu changer de couleur, pas vrai ? Alors, moi je dis que tu dois le faire. Et on va choisir une couleur bien spéciale pour que ta mère comprenne qu'elle n'a aucune remarque à te faire. C'est ton corps, c'est toi qui choisis. Allez viens ma chérie, on va s'occuper de cela maintenant si ça te va... »

Lorsque l'on était rentrés à la maison ce soir-là, mes cheveux bruns et ternes étaient devenus rouge vif et magnifiquement rayonnants.

Ma mère avait failli faire une crise cardiaque en me voyant débarquer avec cette couleur sur la tête. Elle avait ensuite jeté un regard terriblement haineux à mon père et était partie dans sa chambre. Elle avait mis trois semaines à accepter que je ne changerais plus. Et à surtout avouer qu'elle aimait bien.

Aujourd'hui, c'est la seule chose qui semble me rattacher à eux. Alors je m'y accroche et fais en sorte que cela dure. Plus longtemps que ce troisième verre, posé devant moi.

Je le bois d'une traite, comme si ce n'était rien mais, quand je me lève, la pièce tangue sous mes yeux. Je suis obligée de me rattraper au bar pour ne pas tomber. Oups. J'ai sûrement un tout petit peu trop bu. Mais un tout petit peu, hein !

Un gloussement m'échappe, j'annonce à la cantonade que je m'en vais, comme si je ne laissais pas une table vide derrière moi. J'ai décidé de retourner au travail, malgré le fait que je sois légèrement éméchée et, qu'apparemment, j'ai du mal à marcher droit. De toute façon, à cette heure-là, il n'y aura plus personne ou presque. C'est justement le moment parfait pour me renseigner.

Saluant la réceptionniste de nuit, je gravis rapidement les escaliers et arrive dans mon bureau, peu éclairé et légèrement froid sans la présence de mon équipe. Je ne m'étais jamais aperçu qu'il était aussi grand. 

Cela fait pourtant deux semaines que je travaille ici.

Je soupire et allume toutes les lumières au prix de sacrifier la magnifique vue que j'ai sur la ville, qui commence tout juste à revivre après la tombée de la nuit, avant de me prendre les pieds dans des fils électriques. Un ordinateur râle mais je n'y fais pas attention. Je préfère me concentrer pour mieux lever la jambe et atteindre mon bureau. C'est fou les obstacles qu'il peut y avoir ici !

Mémoire PerdueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant