La vulnérable, l'ingrat et le pourri gâté

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Il ne me semblait pas que qui que ce soit qui n'avait pas connu la douleur de perdre un parent pouvait comprendre réellement la douleur et le désarroi que traversait Blaise. Il y avait bien des sortes de peines, de chagrins, de choses difficiles que l'on pouvait traverser dans une vie. Mais cela, lorsque l'un de nos parents nous était pris sous nos yeux, parce quelqu'un avait décidé de nous laisser le regarder souffrir en demeurant impuissant, et pouvant simplement observer alors que l'on voyait la vie quitter le corps de la personne qui nous l'avait donnée, cela était d'un ordre tout autre. Cette impuissance de ne rien pouvoir faire que de pleurer l'être qui nous était enlevé, cet être qui nous avait élevé, au risque de notre propre vie, et la culpabilité qui s'en suivait, parce qu'effectivement, nous n'avions rien fait. Parce qu'effectivement, une des personnes les plus chères à nos yeux avait besoin de nous, de notre aide, que nous la sauvions, et que nous n'avions pas le droit de le faire, au risque de le payer notre propre vie. Et ensuite, il fallait vivre non seulement avec la mort de ce parent, mais en plus le constat immonde que nous nous étions choisis nous-mêmes, au lieu d'essayer de sauver la personne qui nous avait été enlevée. Cette personne qui nous avait donné la vie. Qui avait fait de nous la personne que nous étions désormais. Et sa mère, cette femme qui avait tout fait pour lui, n'était plus. C'était une dimension particulière du deuil, une dimension que je m'appliquai d'ailleurs à éviter avec acharnement en m'interdisant absolument d'y penser, celle de perdre une des deux personnes qui était censée nous guider dans notre vie. Cette personne à qui nous pouvions toujours demander si nous étions sur le bon chemin. Cette personne qui nous remettait les idées en place lorsqu'il le fallait. Cette personne qui réglait nos problèmes lorsque nous faisions des bêtises, et que ces bêtises avaient des conséquences. Cette personne qui nous préparait un bon repas, quand nous étions tristes. Cette personne qui gérait les choses pour nous quand nous n'étions pas en état de le faire. Cette personne vers qui nous nous tournions, quand nous étions perdus et que nous ne savions plus. Et cette personne, pour Blaise, n'était plus. Il ne pourrait plus jamais demander l'avis de sa mère à propos de ses choix. Il ne pourrait plus jamais entendre les histoires remplies de sagesse et d'expérience qu'elle avait encore à lui raconter, ni toutes les leçons qui lui restaient à lui enseigner. Il ne pourrait plus jamais l'entendre rire à ses blagues alors qu'elle lui servirait un bon repas qu'elle avait cuisiné pour lui. Il ne pourrait plus jamais se tourner vers elle lorsqu'il était perdu, ni retourner auprès d'elle lorsqu'il aurait besoin de se ressourcer. Il était orphelin, désormais. Il n'y avait plus personne au-dessus de lui pour prendre soin de lui. Il n'y avait plus personne qui allait réparer ses bêtises. Plus personne qui s'assurerait qu'il resterait sur le bon chemin.

Alexa Zabini était beaucoup de choses, et avait souffert de beaucoup de maux dans sa trop courte vie, mais elle était une excellente mère. Elle n'avait pas été parfaite, certes. Elle avait fait son lot d'erreurs et il y avait bien des démons, y compris les siens, dont elle n'avait pu protéger Blaise. Mais elle avait toujours, toujours fait tout ce qu'elle pouvait pour rappeler à son fils qu'il était brillant, qu'il était capable, et qu'il était aimé. Et il me semblait que c'était là le plus important. A la mort de son père, Blaise et Alexa étaient devenus inséparables. Il avait toujours été le petit fils à sa maman et leur relation avait toujours été particulière, mais cela s'était accentué quand il n'y avait plus eu qu'eux deux, et au fur et à mesure des maris d'Alexa, au final, il n'y avait quand même qu'eux deux qui demeuraient. Lorsqu'elle n'était pas la victime de sa propre santé mentale, Alexa Zabini était une femme passionnante, intelligente et particulièrement aimante. Et toujours, toujours elle riait aux blagues de Blaise, peu importait à quel point elles pouvaient parfois être inappropriées. A la force de son amour, de sa dévotion et de sa patience, elle avait fait de Blaise l'homme incroyable qu'il était aujourd'hui. Peu importait le nombre de bêtises qu'il faisait quand il était petit, puis quand il a grandi, elle ne lâchait jamais, jamais ses nerfs sur lui. Les trois quarts du temps elle lui expliquait calmement et avec amour pourquoi il ne fallait pas faire ce qu'il avait fait, puis elle le saluait pour sa créativité, et cette détermination incroyable dont il faisait toujours preuve pour trouver de nouvelles conneries à faire. Je supposai que s'il était aussi courageux que cela aujourd'hui, c'était parce qu'elle l'avait laissé vivre pleinement. Qu'elle l'avait laissé faire ses expériences et ses bêtises, et qu'il savait que quoi qu'il se passait, sa maman serait toujours là pour le relever, et prendre soin de lui. Plus maintenant. Désormais, elle ne serait plus là pour lui expliquer pourquoi il valait mieux ne pas faire telle ou telle connerie. Désormais, elle ne serait plus là pour le relever et prendre soin de lui lorsqu'il tomberait. Elle ne serait plus là pour rire à ses blagues, et il ne verrait plus jamais cet air aussi faussement choqué qu'amusé sur son magnifique visage.

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